Dunkerque (2017), prolongement complètement logique et enthousiasmant dans la carrière de Nolan qui, film après film, ne cesse d’étioler, d’épurer son cinéma, pour se resserrer sur sa racine en tant qu’auteur, pour ne garder que l’essentiel : le mouvement, l’action, la matière. Plus que jamais, ici, les héros ne sont que des prétextes, n’ont aucun antécédent, aucune valeur psychologique, ne parlent à vrai dire même plus : ils sont ce qu’ils font. De la même manière, pas de romance, pas de regret, pas de femmes qui attendent à la maison : rien. Aucun artifice narratif, rien d’autre que la praxis.
Mieux, l’esthétique du film est renversante : malgré tout le bien que l’on pensait de Nolan, on ne l’imaginait pas si bon, si virtuose. Chaque plan est sublime et d’une intensité incroyable. En cela qu’il filme non point la guerre, mais l’allégorie de la guerre, la guerre comme l’on en rêverait, comme on la cauchemarderait, la guerre intérieure, tel un rêve tout droit sorti de Inception. Le silence hébété des héros, qui ne peuvent jamais que courir, dans une poursuite sans fin ; la différence des temporalités, s’entremêlant et juxtaposant les explosions cathartiques (exactement comme dans Inception et Interstellar), les paysages immenses, presque surréels, et pourtant justement toujours parfaitement réels, sans s’abaisser à l’image de synthèse… Bref, on est chez Nolan, un Nolan même qui n’a jamais été autant Nolan et en cela conquiert et fait parfaitement sien le genre du film de guerre.
Problème : après un premier quart d’heure effarant, où l’on est saisi immédiatement par ce que Nolan veut, fait et réussit (le héros silencieux s’échappant des rafales de balles puis parvenant sur cette immense plage et ces longues queues de soldats attendant de pouvoir embarquer, image incroyablement glaçante et onirique), le film finit par nous perdre. Pour la première fois, en fait, chez Nolan, son cinéma ne nous emporte plus. Son obsession de l’action, de la matière même, nous perd : on se désancre du récit, et l’on regarde cela, à la fois fasciné par la maîtrise visuelle de la chose, et néanmoins extérieur aux enjeux, pas vraiment concerné.
Il semble alors que Nolan est allé en fait trop loin dans son style, qu’il a poussé le cadran un cran de trop, nous laissant seul avec cette immense machine en branle, sans qu’il n’y ait précisément plus cette poésie du Vouloir à l’intérieur de cette Machine. Le tout fume, vrombit, se déploie, comme en pure perte. Ce qui, à la fin du film, finit toutefois par nous ressaisir émotionnellement, avec cette très belle séquence de Tom Hardy volant sans essence, planant de façon rectiligne au-dessus de la plage, continuant néanmoins sa guerre : belle image métaphorique du procédé même du film, qui se déploie sans autre fin et considération que la pure exécution. Mais l’on espère que la prochaine fois, Nolan saura faire marche arrière – car de ce Dunkirk, l’on ne garde autrement, passé le visionnage, pas grand chose. Enfin, encore une fois : quel auteur total de son temps.
Note : 3/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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