À Julia Peña, Grande actrice, merveilleuse personne et madrilène de toda la vida
Le livre de Rosa Montero intitulé La Ridicule idée de ne plus jamais te revoir [1] occupe un statut particulier parmi les volumes de ma bibliothèque car, de tous, il est le plus traversé par la question des coïncidences. Et comme si cela ne suffisait pas, l’écrivaine y aborde ce sujet d’une manière semblable à la mienne, c’est-à-dire de façon à la fois vécue et littéraire plutôt que théorique et scientifique. Mieux encore : la nature même des coïncidences qui me « lient » à cet ouvrage relève exactement de la description qu’en donne Rosa Montero :
Ah, les #Coïncidences. Elles sont étranges, elles sont impossibles, elles sont inquiétantes et elles abondent surtout dans la littérature. Je ne veux pas dire à l’intérieur des romans, mais à proximité de l’écriture. Ou dans la relation entre l’écriture et la vie réelle. [2]
La vie réelle de l’auteur bien évidemment, mais aussi celle du lecteur comme le montrent deux exemples étranges – voire impossibles et inquiétants – de la relation que ce livre « entretient » avec moi. Tout d’abord, à la fin de La Ridicule idée de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero cite un ouvrage de John Berger, Un métier idéal [3], avec lequel il m’est justement arrivé une histoire d’autant plus déconcertante que cet écrivain anglais est aussi l’un des rares dont j’ai reçu une lettre. Le 12 septembre 2020, je me trouvais donc chez un ami quand, tout à coup, une personne a fait irruption pour lui rapporter un livre dont j’ignorais l’existence… Celui-là même.
Jusque-là, rien de très étonnant. Mais quelques heures plus tard, voyant l’ouvrage sur la table du salon, je l’ai pris pour le feuilleter. Au même moment, le flux musical proposé par le téléphone de mon ami diffusait une chanson que je ne connaissais pas. Après vérification, il s’agissait de World Wide Suicide du groupe Pearl Jam. Or, je venais justement d’ouvrir (au hasard) le livre à l’endroit même où John Berger apprend au lecteur que le protagoniste principal d’Un métier idéal s’est suicidé quinze ans après la publication de celui-ci. Et c’est précisément ce passage de la postface, rédigée trente-deux ans après le texte lui-même, que Rosa Montero commente dans La Ridicule idée de ne plus jamais te revoir [4].
La coïncidence ne s’arrête pas là… Quelques pages plus loin, Rosa Montero cite un livre d’Iona Heath, Ayudar a morir (inédit en français), d’ailleurs préfacé par John Berger. Or, il se trouve que j’avais appris son existence la veille de ma lecture de La Ridicule idée de ne plus jamais te revoir – comme le rappelle une annotation dans mon exemplaire – en regardant le film hispano-argentin Truman (2015) du réalisateur espagnol Cesc Gay. Un de ces rapprochements soudains et inattendus qui peuvent difficilement laisser indifférent comme l’écrit Rosa Montero :
J’ai toujours été émerveillée par ces harmonies, ces extraordinaires #Coïncidences du destin que la vie nous offre de temps en temps quand elle se montre magnanime […] [5]
Enfin, le fait que l’existence de ce livre m’ait été révélée par ce film est d’autant plus intrigant et important à mes yeux que celui-ci se déroule entièrement à Madrid, ville qui constitue un autre motif de rapprochement supplémentaire entre l’histoire de Rosa Montero et la mienne, au-delà de son statut d’autrice de La Ridicule idée de ne plus jamais te revoir et de ma position de lecteur.
Si l’écrivaine est née dans la capitale espagnole, y a grandi, fait ses études, travaillé et y vit toujours, j’entretiens quant à moi une relation unique avec elle pour avoir eu la chance de la parcourir inlassablement durant les six premiers mois de l’année 2004. Elle est ainsi la ville que j’ai habitée – et non simplement visitée – où je me suis senti le plus libre, n’y occupant aucun rôle social ou familial, ni activité professionnelle ou associative, simple piéton curieux à la découverte d’un nouveau monde et en quête d’une langue supplémentaire.
Apprendre le castillan était en effet la raison de ma venue, seul et sans aucune connaissance sur place pour m’accueillir. Je disposais simplement d’un nom et d’une adresse pour une colocation, sésame obtenu (l’alcool aidant peut-être le hasard) lors d’une soirée parisienne où un de mes amis informé de mon projet avait discuté quelques minutes avec une madrilène (de passage pour le week-end) qu’il n’avait jamais vue auparavant et ne reverrait jamais. La bonne mémoire de celle-ci et l’ouverture d’esprit de ma future hébergeuse, son amie d’enfance, feraient le reste…
Texte © Pierre-Julien Brunet – Illustrations © DR
Doubles & Coïncidences est un workshop de fictionnalisme in progress de Pierre-Julien Brunet.
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[1] La Ridicule idée de ne plus jamais te revoir est paru en Espagne en 2013, puis deux ans plus tard en France aux éditions Métailié dans une traduction de Myriam Chirousse. Les citations de ce texte renvoient à l’édition de poche (Points Seuil, 2016).
[2] Ibidem, p. 134. Rosa Montero fait précéder le mot « coïncidence » d’un dièse – à la manière du hashtag des réseaux sociaux – pour mieux en souligner chaque occurrence et les compiler en fin d’ouvrage avec les numéros des pages concernées, dans une sorte d’index comprenant tous les sujets les plus importants du livre.
[3] Un métier idéal est publié en France en 2009 aux éditions de L’Olivier, mais a paru pour la première fois en Angleterre en 1967 sous le titre A Fortunate Man.
[4] Op. cit., p. 192.
[5] Ibidem, p. 90.