Je suis désormais ton livre – Leçon d’algèbre dans la bergerie (Terracol, 2019) – un livre de prédilection grâce auquel je suis rentré en ma possession et qui désormais t’appartient : un livre de vers de prédictions.
Celui qui me détenait auparavant s’est perdu la nuit dans mes bois en se fiant à mes petites épopées. Remarquant des clignotements lumineux dans le feuillage et certains bruits amortis, c’était la fenêtre de ta roulotte et ceux de ton cheval à la longe se régalant d’avoine. Il a toqué doucement au carreau, tu lui as ouvert la porte et offert le pain et le potage, et puis un matelas de crins favorable aux rêves jusqu’à demain. Au matin, il était déjà reparti et m’avait déjà oublié.
Un lecteur précédent le lui avait procuré avant qu’il n’entreprenne la traversée de ce désert de sel lacrymal et de sable de nuit ou d’obsidienne. Un jour qu’il avait préjugé de ses forces et l’outre presque vide, il prit ton campement pour un mirage et les chameaux pour des chimères entravées. Se dirigeant alors vers le camp, tu as soulevé un pan de ta tente, offert l’eau douce, les dattes et le repos jusqu’à demain.
Comment se fier aux vers soufflés par les rêves, le savoir et l’imaginaire, fragiles comme sont les vrais rêves, en verre trempé dans l’huile et dans l’eau, puis refroidi à l’air du réel ? Comment se fier au vers pluriel au singulier, à ces vers qui n’éclairent qu’eux-mêmes en vert que la nuit de soie révèle et vers où aller ?
Je commence par le début, me poursuis par le centre et m’achève à l’infini : c’est un livre à résoudre en suivant la fem (finite elements model), la méthode dite aux éléments finis, un femtoème : un fantôme. Une chimère modèle dont chacun des éléments est une fonction de la forme poème(x) = y (poème de x égale y) dont la solution appartient à l’ensemble uni des mondes réels « m » et imaginaires « i ». Imaginaire ou réelle cependant unique est la solution sans solution de continuité du femtoème : une fois encore, je ne suis pas l’ouvrage d’un poète, c’est-à-dire que je ne fais pas, je ne fais que.
Une soustraction n’est-elle pas une addition de nombres affectés du signe moins, une multiplication, la mise en facteur d’une addition ? Que les nombres appartiennent à l’ensemble des rationnels, irrationnels ou imaginaires, ne sont-ils pas des mots constitués de lettres dans un certain ordre arrangées et le poème, un arrangement de mots au nombre de i dans m, tel que tel que A im ?
Le féminin d’un nombre n’est-il pas une ombre, celle d’une chimère dont le chromosome « y » est celui de « lyre » ? En grec ancien le mot bios signifie à la fois « vie » et « corde » selon que l’on met l’accent sur l’i (βίος) ou l’o (βιός), l’arc duquel descend la lyre, cet arc à répétition, les sons, les tiens, des leurres et les 1 des flèches dont le centre, le point sur l’i de la cible est nulle part et l’o du cercle partout, de sorte que R le point ?
Comment se fier aux vers soufflés par les rêves, le savoir et l’imaginaire, fragiles comme sont les vrais rêves, en verre trempé dans l’huile et dans l’eau, puis refroidi à l’air du réel ? Comment se fier au vers pluriel au singulier, à ces vers qui n’éclairent qu’eux-mêmes en vert que la nuit de soie révèle et vers où aller ?
Au verre à travers lequel tu me vois par le carreau de ta cabane de papier de vers ou doucement me bois dedans sous la tente en soie de vers, dans ce verre en fulgurite fondue aux éclairs de concentré d’étoiles, en vers composés à la foudre en se déchargeant sur le sable innombrable des mots ou dans l’obsidienne régurgités des cratères où nidifient les aigles se nourrissant des mots innommables que le poème(x) fulgure ?
Dans poème(x), « x » est à la fois la marque d’un pluriel et le nom donné à l’inconnue dont le poème tente de poser l’équation sans jamais parvenir à la résoudre ainsi que le signe « fois » la marque d’une multiplication du poème par lui-même, sachant que plusieurs fois ne font qu’1 ou -1, c’est-à-dire 1 ou i à la puissance deux (1 ou i2), selon que le nombre et son ombre appartiennent ou non à l’ensemble des mondes réels ou imaginaires, à celui en qui on ne peut qu’avoir foi.
De sorte que j’aurais pu m’intituler En fonction du poème, l’ayant en ligne d’ouïr et de mire obsessionnellement et le monde et tant de poème (x, y, z, t), femtoèmes, pensèmes, critoèmes à tradouïre. Cette sorte de frasage comme ce qui suit l’incorporation de l’eau à la farine, mais ici de mots levés par le phrasage : des pains de mots destinés à la cuisson dans la bouche dont on dit qu’ils baisent quand ils se touchent.
Tout comme L’épopée du vers, Raiponce le poème ou Chimère modèle car chimère le mot de lettres, chimère le poème de mots et le livre de poèmes, j’aurais pu tout aussi bien m’intituler Équations du silence, s’agissant d’un côté de mettre des mots dissemblables en facteur sous la forme d’identités remarquables et de l’autre le silence dans lequel ils vous plongent à ce moment-là.
Ou inversement, le silence posé, d’en extraire les racines, c’est-à-dire de porter le silence à la puissance négative (-1), réelle (m) ou imaginaire (i), énième (n) ou circulaire (0) des mots qui achèveront de le briser, de briser le vers comme du verre, avant que les vers ne te dévorent : Équations du silence, c’est-à-dire du silence mettre l’écho en équation, poser l’échotion.
Comment se fier aux vers dont le poème dévide les fils des cocons de soie, de moi et de toi, les entretisse selon les cinq axes du poème, les rectilignes imaginaires (x, y z), tracés dans l’espace et (t) dans le temps de sa lecture ajouté à l’ondulatoire virtuellement sonore et porteur de sens en soie et coton, mais de fils d’ortie et de lin aussi, de soi et de l’un à partir de quoi le poème est fabriqué, ce tissage axiomatique comme le sont les sons, les miens, les tiens, les n’autres ?
J’aurais pu également m’intituler Par-delà Finfinni, du nom d’Addis Ababa en langue Oromo, quand sur la place du marché entre les pattes du lion, l’homme du désert volcanique a fait mon acquisition, tout parfumé par la fumée de la roulotte d’eucalyptus où je fus conçu puis rangé dans un étui géométriquement découpé selon un patron immémorial puis cousu au fil d’ortie dans une peau de mouton.
Cires perdues aussi aurait pu m’aller, en pensée de sèm-enna wèrq que l’on parle dans ce pays, laquelle façon de ne rien dire tout en le disant, qui littéralement signifie « cire et or », la cire des paroles polysémiques dont le sens unique des mots se révèle être d’or, si tu veux bien te ficeler à son mât et te boucher les oreilles, faire fi des sirènes et te fier aux chimères.
On va jusqu’à faire un signe de croix devant toutes les croix avant de parler par sèm-enna wèrq. Elles sont si nombreuses que les habitants de ce pays ne cessent pas de se toucher le front, le ventre et les épaules devant tout ce qui a forme de + et de x. Et même quand ils dansent, ils se l’imaginent, +, x, x, x, +, +, x…, les chorégraphient : poème(x). Aussi lecteur-e te laissé-je le soin d’intituler ce livre de poèmes sténophoniques comme tu m’entendras à partir de maintenant.
Tu comprends maintenant pourquoi l’on me perd et s’y perd alternativement, questions d’ondes sonores et lumineuses, de résonances, d’interférences et d’opposition de phases et de phrases, questions d’ R le point.
Comment se fier au vers, aux vers soufflés par les rêves, fragiles comme sont les vrais rêves, trempé dans l’huile et dans l’eau, puis refroidi à l’air du réel ? Comment se fier au vers pluriel au singulier, à ces vers qui n’éclairent qu’eux-mêmes en vert que la nuit révèle et vers où aller avant qu’ils te dévorent ?
Tu comprends maintenant pourquoi l’on me perd et périodiquement te perd, questions d’ondes sonores, lumineuses et périodiques, d’excitateurs poétiques, d’ x-citations, considérant que le poème(x) est une organite vivant de trocs d’ions et dons à la cérémonie encéphalique de la vie.
Ne possèdes-tu pas déjà les clés de lecture de ce Traité du vers ? Clés à gorge, à œil et à chiffres que sont les poèmes et x le trou de la serrure, des clés alphanumériques comme le sont celles de la machine de Turing ? Et puis les chiffres ne sont-ils pas d’abord des mots, 1 un, 2 deux, 3 trois, … à l’exception de l’infini.
L’infini par-delà lequel le poème voudrait te conduire et te tendre la main pour que tu racontes ce que tu as vu et entendu, ce que tu as lu au bord ?
Algorithme sensationnel, le poème n’est-il pas également logos rythmique, logarythme lequel transforme l’addition des mots constituant le vers en multiplications, portant les mots à la puissance de la multiplication du sens par lui-même dont tu les dotes, en puissens pour que toute la lire ?
Des mots dont le chiffre est une combinaison de lettres destinées à ouvrir le poème et la révélation qu’il s’ouvre en lisant la première joie, à l’écoute des petits bruits que les mots produisent en tournant sur eux-mêmes ?
La révélation que la clé du poème est un passe-partout et que la porte de la cabane au bois d’eucalyptus où l’on t’a offert le potage, le pain et le repos est toujours ouverte. Et plantée dans le sable des mots, dièses et diérèses mêlées, produit de toutes les altérations, allitérations, les atterrations, ondes de dunes selon le sens des vents, la puissance de ton souffle, la clé de la tente est tout ce qui confère au poème sa tonalité, son ombre protectrice, son nombre protecteur.
Je m’adresse à toi sous le nom que tu auras donné à cette chimère au bois dormant, sous la tente ou dans la bergerie, endormie à force d’en recompter les moutons, il en manque toujours un à la fin. Endormie et qui rêve, chimère modèle que tes lèvres et ta langue réveilleront en tournant sept fois dans son palais avant qu’il ne se transforme en cabane dans le désert, et te soufflera à l’oreille avant qu’elle ne se rendorme la formule du /ve:r/.
Texte (Avant-propos de l’ouvrage) © Christian Désagulier – Illustrations © Julia Tabakhova & DR
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