Avec l’autofiction, la subtilité s’efface : si vous mettez à plat vos inquiétudes sans filtre, sans composition, même avec un pseudo, le problème du moi restera entier. Dire je c’est s’exposer, faire croire qu’on prend des risques. Au nom de quoi mon expérience est-elle exceptionnelle ? Ai-je besoin que les autres s’accrochent à mon existence, s’identifient à mon destin ? La consigne Autofiction est inscrite dans un stage d’atelier d’écriture qui comprend l’autoportrait, l’autobiographie, le moi perturbé. Chacun utilise un pseudo et les textes tirés au sort sont lus dans un silence pesant.
L’autofiction n’est pas un problème, c’est un parasite pour les auteurs qui n’en font pas. Les autofictionnels évoquent un moi souffrant au lieu de payer des séances de psy, ce qui prouve, un, que la psychanalyse est impuissante, deux, que la littérature ne suffit pas à résoudre les problèmes psys. Elle les expose mais ne trouve pas la solution.
Beaucoup plus difficile, la fiction exige une invention permanente, des personnages irréels, nouveaux, qui deviennent vrais comme des solutions créatives à la fragilité de l’être humain. La poésie, genre ultime, au sommet de la délicatesse, exige des mots choisis en fonction des états d’âme. On peut se demander pourquoi la littérature est devenue la bouée des autofictifs. Après le mode passionnel et sincère, vient l’autofiction sexuelle comme degré d’étalage suprême, moyen ultime de proposer la littérature au plus offrant. La littérature française est incarnée dans le monde, aujourd’hui, par une vision libérée de la femme sur sa propre sexualité. Le sexe ouvre des portes peu explorées par les femmes elles-mêmes, ainsi, dès que l’une d’elles en fait un livre, on acclame son audace.
Se raconter soi-même pour devenir l’héroïne de son propre langage, de son expression, de son destin, est-ce un rempart contre le machisme ?
Les permutations sont plus pauvres dans l’érotisme que dans le langage. Pour cette raison, l’écrivaine dure plus longtemps que la libertine. Ses ressources sont infinies. Son corps, plus souple que celui de l’homme, s’accommode de multiples combinaisons, d’acrobaties inventives, mais quand une femme n’a plus envie de sexe, que lui reste-t-il ? Les magasins ? Prendre la plume ? Accepter un rendez-vous à Palais Royal ?
Le sexisme est un sujet plus intéressant que la sexualité, dans la mesure où il vous oriente comme amoureux, internaute, sociologue. Le machisme n’est pas réservé aux sociétés patriarcales ni aux communautés repliées. À Paris, où la circulation est libre et incessante, errent des sexagénaires qui invitent des femmes jeunes au restaurant, pour vérifier leur taux de testostérone. De ce constat, vous ne ferez pas un sonnet, car la séduction est un beau sujet s’il reste lyrique. Loin des envolées puissantes, à la terrasse d’un café, en juin, le regard de l’homme est simplement physiologique. Celui qui entraîne la jeune fille dans son appartement avec vue sur la Seine est-il le représentant d’une catégorie en crise ? Un dragueur qui prend des râteaux n’est pas une proposition alléchante. Décrire une soirée au restaurant, c’est mieux. Une conversation qui se terminera à l’horizontale, pourquoi pas ?
Une fable inventive est plus gratifiante que le compte rendu de la misère sexuelle ambiante. Si on confond littérature et sociologie, on ne pourra jamais accéder à une oeuvre. Le séducteur de Notre Dame qui organise sa vie en fonction des jeunes filles de la piscine de Pontoise, derrière ses lunettes Go Sport, est un sujet pathétique pour magazine. Dire que les hommes sont plus directs que les femmes dans leur désir de consommation sexuelle n’est pas à la gloire des hommes d’aujourd’hui. Le voyeur des terrasses de café retient sa puissance hormonale qu’il ne peut disperser, il craint la prostate, la solitude, une baisse de sa virilité, impossible d’en faire un sujet pour un texte intéressant ou un roman novateur. En revanche, si vous imaginez un dialogue à la manière de Diderot, une rencontre au purgatoire entre Saint Pierre et le Marquis de Sade, là, vous décollez :
– Ça y est je suis au placard !
Le divin marquis erre entre ciel et terre, tout est blanc…
– Bonjour Mr Sade !
– Appelez-moi Marquis de Sade s’il vous plaît !
– Ici, il n’existe aucune particule de noblesse !
Entre le divin marquis et le vieillard auréolé, nous tenons un sujet fort (l’âme et le corps, la chair, l’esprit). L’échange entre figures historiques et mythiques permet l’accès à une dimension surnaturelle, au-delà du sexisme, de la religion, de la morale. Saint Pierre, patriarche sympathique, accueille un pantin en perruque, à vous de trouver la suite. Évitez les pièges de l’intimidation. Ajoutez la jeune fille en hologramme à la terrasse du Palais Royal. Observez le regard de l’homme sur sa poitrine. Il entre et sort, fait des séjours fréquents aux toilettes. Pourquoi faut-il que les hommes dépendent de leur désir à ce point ? S’ils doivent se vider de leur substance, puis remonter, l’air de rien, commander un autre café, à qui est-ce la faute ? Les œuvres du marquis n’expliquent pas un tel comportement. Un siècle de puritanisme, le XIXe, n’a pas suffi, ni le siècle suivant, plus émancipateur.
Si en tant que femme vous êtes en colère contre le machisme ou le pouvoir de la finance, quittez la plume, devenez artiste, faites des performances. Le happening demeure le seul moyen d’être visible. Vos livres sont empilés ou en tranches chez les libraires de quartier. Dans la vitrine, vous passez inaperçue. Si vous êtes artiste, on verra mieux votre corps, on entendra votre voix énervante qui attire les foules, vous pourrez vous balader dans Paris avec un vagin géant en mousse, sur de grandes roulettes.
Casanova disait que si le plaisir existe, qu’on ne peut en jouir qu’en vie, la vie est donc un bonheur. À l’époque glorieuse où on écrivait Mémoires sur une première de couverture, les hommes étaient-ils plus machos qu’aujourd’hui ? Ils étaient moins vulgaires que le promeneur du Quai Saint Michel, plus chics que le baigneur de la piscine de Pontoise.
Texte © Véronique Pittolo – Illustrations © DR
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