Radium Ra | Mouchette Mo | Césium Cs | Uranium U | Plutonium Pu | Veronica Persica Vp | Ankoku Buto Bu | To/kyo Tk
Au début c’est la faute à Robert Bresson et sa Mouchette violée…
catatonie tokyoïte / secondes-minutes-heures d’absence reposante, dé/connection aréactive /puis replongée tout schuss dans la glace /
gliiiiiiiiiiiiiiiissando là-haut de l’autopiste
首都高速道路
feuil doré (soleil) sur la réalité grise, creuse, effrayante, hallucinée quand L. se met à criurler à pleins poumons dedans la chambre d’hôtel (trop sombre, dit-L., alors on en change) gris poussière, dans la ville grise poussière sur une île grise poussière qu’on nous vendit pourtant avec le sable blanc tropical (blanc cuvette) l’eau turquoise (bleu chimique) et ciel à l’avenant mais
DÉCOLLEZ le feuil regardez-y bien en-dessous : du gris, du gris, du gris, le gris de nos faces cireuses, hideusement laides du badigeon que la maladie a fienté sur nous
décentrement / perte // dilution /// ca-tatonie //// effondrement
catatonie (quinze minutes ?) dépôt d’être, alanguissement, perception feutrée de l’entour, réduction du champ de vision (mais toujours L. au centre de), évacuation du sujet (enfin ! ironiquement japonais pendant quelques minutes)
S/T, S par T, espante d’un sin titulo, S barré par quoi : T de Tokyo
extrusion du gris bourgeonnant en nouveaux volumes
mais reprenons
Le viol de Mouchette arrache à L. des cris, et me pleuvent des coups de poing
Ah ah aaaaalors, rallumons les lumières cessons / dupes / car ce qui s’annonce est terrible et convole d’évanouissements en apnées infertiles, en réveils nocturnes tarabusteurs, en fuites incertaines vers l’ hôpital sur la banquette arrière d’une bagnole prêtée / le poumon, vous dis-je, le poumon / mais vous n’y êtes pas docteur, c’est l’être qui se débonde, qui fout l’camp par tous les pores, les soupirs et les peurs, pauvr’allopathe, bombarder de rayons ne servira de rien, docteur des sols chuintants, verdâtres & néonés de kanjis sybillins, docteur sur la défensive qui défouraille les rayons x, docteur 医師 ishi incompréhensible empâté de peur ! la faute à Bresson / les rayons, vous dis-je, les rayons
et L. (qui danse) & s’arc-boute contre l’air
ha là là, nous étions encore bien loin du compte mes amis
/ mais aussi le repos du jardin sec où s’abîment les yeux /
quelques esprits chamaniques volètent autour de nous dit-L, soudain les herbes cessent de bruisser l’île s’immobilise pilotée à distance depuis Tokyo / soudain la terreur pure le décor se retourne comme un gant la puanteur la décharge les araignées nous sautent à la figure /
on y est, ça commence
l’espante-oso danse l’épouvantail à ours
Noooon, rassure-toi, nooon c’est impossible, personne ne pilote une île à distance
DÉCOLLONS LE FEUIL ! RENTRONS À TOKYO !
CRIse dedans la jolie maison japonaise où bruit une bambouseraie mais dedans les CRIS d’L. devenue folle s’en prenant à une brosse / à s’en tordre les mains ! d’un coup l’âge tire ses fusées blanches dans mes cheveux /
/ Tokyo ne nous aime plus /
VISITEZ HIROSHIMA !
danse macabre (les yeux fous) dans l’aéroport, un fliconnard s’approche et pense « droguée », sourires autour
C’est bien après, pauvre Mouchette
(à Nagasaki, face à l’obélisque noir levé à la verticale de l’impact)
PARTONS PLUS AU SUD !
la folie Miyako-jima
île de lumière crue / Ne dorment plus les rues de la ville le béton gris des quais où rouillent les cargos veillés de portiques fatigués le vent qui agite l’herbe des bas-côtés / Tout est masque grimaçant de la folie où L. s’emporte / Ville fardée pour les tromper L. croit en une machination ourdie à distance / Se traînent en d’interminables courses / Errants déchirés de cris / Engloutis par l’eau lourde du passé / La laisse sur le trottoir veut aller dormir un peu / L implorante ou furieuse – ne sait plus
Décide d’offrir à la danseuse de butō la chorégraphie Veronica Persica pour qur L. danse les corps soumis aux rayonnements / les rayons, vous dis-je, les rayons / la danse macabre des isotopes uranium plutonium danse de l’hydrogène accoucheur de monstres sur la terre vitrifiée d’Hiroshima et Nagasaki
terre gravide de cancers d’aberrations et d’une jolie petite fleur bleue : Veronica Persica, aux gènes fouaillés par les radiations le microscope révèle un agencement nouveau / monstrueux
à la laideur subtile / Kazuo Matsumuro meurt en 1977, il dit avoir vu une mère à la recherche d’un endroit pour incinérer son enfant mort, c’était le 7 août 1945 à huit kilomètres du point d’impact de la bombe. Le visage brûlé de l’enfant qu’elle portait sur son dos était infesté de larves
Kinzo Nishida dit, je fus littéralement frappé d’horreur à la vue d’un homme nu debout sous la pluie et qui tenait son œil dans la main
Veronica Persica / Corps :
Un homme soudain flambe
Un homme soudain s’effondre
Un homme soudain gonfle sous la chaleur
Se déforme
Se volatilise
Ne laisse que son ombre brûlée dans la pierre
La pierre pleure à Nagasaki
Une femme vomit un sang noir
Ses cheveux soudain tombent
La pluie est noire
Ils visitent les musées de H et N
La chair d’une main fond dans le verre d’une bouteille
En une chose surréaliste
Tout se vaut
Tout est matière à fusion
Veronica Persica est le livre des morts de la danseuse de butô
(Ô
Ô cercle Ô éternel retour Ô anus Ô vagin Ô bouche Ô expulsion Ô lent chuté de la Fleur de l’Univers)
peut-on danser le démembrement des corps la fusion des corps et de la matière ?
(…) Frappé d’horreur quand la danseuse de butô enfermée hurle
L’œil dans la main qui la regarde Laideur subtile de son visage miné
Contre-genèse
cri d’un corps (qui ne peut plus se dire) que dans des colonnes d’air propulsées par l’angoisse
ignoble chaîne
qui lie espace et temps en une interminable nausée
MAIS NON : OFELIA
le monde est en attente d’un coup de dé. Il advient remis de sa lente agonie le cycle repart quand la danseuse de butô paraît sur scène parfaitement immobile rigoureusement immobile
Coiffée d’un chapeau dont l’ombre avale le visage, on n’en distingue que les traits fardés de blanc comme les bras longilignes pétrifiés inertes dirait-on. Les pieds de la danseuse s’abreuvent loin en bas
Apsara danseuse céleste d’Angkor La tête va se perdre là-haut la fleur monstrueuse du chapeau aux reflets argentés Catrina la muette Catrina la muerte
et l’univers se met en branle l’espace se crée lentissime glissé des pieds invisibles
le public a fait silence happé soudain dans la noire nébuleuse qui se déploie s’épanouit sous leur regard le temps existe à présent tout peut commencer
la danseuse danse Ofelia, et lentement si lentement, donne un tour sur elle-même. Révolution descend au sol les doigts antennes plantées dans l’épaisseur du temps comme pour le retenir et le laisser filer les antennes vibratiles vite recroquevillées corps arqué cassé bouche de spasmes qui cherche l’air dans l’eau de la noyade la danseuse s’arc-boute contre l’espace les doigts les membres tétanisés vibrant encore d’une grâce que la vie abandonne
s’abandonnant à la folie Ofelia dans l’agonie du corps rendu à la pesanteur Ofelia un cri arraché
puis de nouveau l’air dans l’air l’eau dans l’eau, vieillards femmes enfants tous les êtres aimants aimés criant du même cri
L. entre sur scène avec ses morts le public ne dit mot Il rentrera ce soir avec les fantômes d’Ofelia
entre et vire-gire
Ondes concentriques rappelant incessamment l’épicentre noir obélisque levé au centre de spires te ramenant toujours au même
le pire
/ implosion /
Por el presente hago constar que he estado atentiendo a la Sra L. por presentar cuadro de
sidérante pour nous qui te regardions
abatimiento de su estado de animo – en forma de tristeza, llanto, desesperacion, inquietud psicomotriz, perdida del interes, anhedonia
(à Nagasaki face à l’obélisque noir levé à la verticale de l’impact)
insomnio asi como interpretaciones delirantes
l’enveloppe carnée de la danseuse peinant à contenir le cataclysme intérieur / les forces exultantes au travail en elle Fusion / Explosion (imaginons le corps sur le modèle d’une bombe )
Ha sido tratada a base de antidepresivos y antipsicoticos asi como psicoterapia
(L. violée)
Dx : depresion mayor con sintomas psicoticos
Le dol
Tto : 1/ Risperidona 2 mgr. 2/ Paroxetina 20 mgr. 3/ Clonazepam gotas
(à 長崎 face à l’obélisque noir levé à l’hypocentre de l’impact)
Texte © Bruno Lecat – Illustrations © DR
De la littérature comme un art nucléaire est un workshop d’écriture psychogéographique in progress de Bruno Lecat.
Si vous avez apprécié cette publication, merci de nous soutenir.