Face au Spectacle : Drunk

Drunk (2020), dont on attendait beaucoup au vu du pitch génial (auquel l’on avait d’ailleurs déjà pensé), de la présence de Mads Mikkelsen au casting et celle de Thomas Vinterberg à la réalisation, leur précédente collaboration ayant déjà donné l’excellent La Chasse. De plus, la citation de Kierkegaard, au début du film, ne devait contribuer qu’à augmenter nos attentes. Malheureusement Drunk, comme Tenet de Nolan et Je veux juste en finir de Kaufman avant lui, a fini de confirmer que le cinéma en 2020 n’avait pas eu besoin de la Covid pour souffrir : ses meilleurs auteurs, les uns après les autres, auront tous échoué dans les plus grandes largeurs.

Le début de Drunk, pourtant, avec la jeunesse ivre, pratiquant ce jeu rituel danois que les héros plus âgés ne peuvent voir que de l’extérieur, avait quelque chose d’intéressant, qui allait justifier autant la citation de Kierkegaard (« La jeunesse ? Un rêve. L’amour ? Ce rêve ») que l’approche terne du film. Car il ne s’agit pas, avec Drunk, de traiter l’ivresse dans sa jeunesse, dans son rêve, dans son exaltation, mais davantage dans son souvenir : ou, plus encore, dans le ressouvenir de Kierkegaard. Et aussi, lors du premier acte du film, bien qu’assez policé, bien qu’assez sage et conventionnel, je demeurais convaincu par la proposition du metteur en scène, plus fine et intelligente qu’un simple tableau de la crise de la quarantaine : loin de se servir de Kierkegaard comme un tampon de poseur, Vinterberg semblait s’efforcer de mettre en scène une partie de sa philosophie. À savoir la différence entre la reprise et la répétition, et comment l’ivresse, ici, dans la vie de ces hommes, ne peut servir que de répétition. Non pas d’avancée, mais de retour en arrière. L’alcool à rebours.

Le problème, c’est qu’il y a une différence entre incarner une philosophie, et se laisser emprisonner par son concept sans laisser vivre son sujet. Or, jamais Drunk ne se laisse aller à la fièvre, jamais il n’accepte de partager, ne serait-ce qu’un moment, l’erreur de ses personnages. Il est dans la démonstration et jamais dans l’expérience. Tellement d’ailleurs qu’il coupe très vite court à l’ivresse (qui n’est qu’une partie minime du film) et entame le principe ultra balisé de la descente aux enfers. Le pire étant la mort du prof de sport, si bête, si convenue, si factice, que cela en est navrant.

Beaucoup ont reproché au film d’être modéré et puritain, moralisateur même, et à de nombreux égards, il l’est, mais c’est un point de vue, une approche, là encore une philosophie, qui en soi n’est pas un écueil – l’écueil, c’est d’être aussi rigide, d’être aussi sobre. Encore une fois, fais ce que tu dis : pour traiter l’alcool comme un abysse, comme une tentation machiavélique, comme une beauté qui ne peut par essence que dégénérer (sujet passionnant), le film doit lui-même en tant qu’œuvre filmique boire. Or Drunk ne se mouille pas.

Toutefois le pire, c’est encore la fin. L’on sent que Vinterberg sait bien qu’il n’a pas réussi à habiter son film, qu’il manque une folie, un cœur, une honnêteté : aussi par dépit il sort une pirouette artificielle pour prétendre que Drunk n’est pas si unilatéral. Mais peu importe que cette dernière scène soit une ode à l’ivresse, un pied-de-nez malgré tout à l’alcoolisme inévitable : le film en lui-même n’est pas ivre. Cette danse, ce n’est qu’un filtre, une enluminure, qui arrive bien trop tard, et qui essaie d’approfondir artificiellement un récit plat. C’est peut-être pire encore de finir de cette façon, parce que c’est hypocrite : Vinterberg n’assume même pas la sobriété rigide de son film. Cette moralité, cette synthèse finale, on pourrait la résumer par il ne faut pas boire pour être heureux, il faut être heureux pour boire, et cela paraît davantage être le résultat d’une pénible équation, d’un pénible calcul d’élève, que d’un artiste ayant éprouvé toutes les impasses de son sujet dans cette chaire. L’ivresse ne peut être proclamé en dernière instance : elle doit avoir été vécue. Un Lars Von Trier aurait fait de cette idée quelque chose d’autrement puissant.

Note : 1,75/5.

Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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