Free Guy (2021), nous a continuellement surpris. D’abord en bien, parce que même s’il paraît parfois être un mash-up assez informe de tas de films ou séries (on pensera à Matrix, The Truman Show, Jumanji, Mythic Quest, Boss Level ou Ready Player One), la vérité c’est qu’il se révèle rapidement fort profond. L’idée de l’intelligence artificielle qui devient humaine, qui s’attache à une joueuse croisée au hasard, puis qui l’embrasse et qui l’aime…
Évidemment, on reste là dans le cadre de l’ornementation pour film d’action, mais quand même : c’est drôle, et c’est parfois simultanément beau, et donc ce n’est pas rien. Le code qui se développe de lui-même, le jeu qui n’a plus besoin du joueur ; les intelligences artificielles qui font grève. Qui s’arrêtent pour penser. Qui démissionnent de l’artifice. Cela nous a rappelé notamment ce que GTA nous inspirait quand on y jouait. Et donc sur la première partie, on ne boude pas son plaisir. Le problème, c’est que plus le film avance, et plus son scénario malin est gâché par une mise en scène graduellement indigente. C’est là que le film nous surprend, mais en mal.
Car tous les moments forts, tous les éléments qui auraient dû finir de nous lier au film, nous en éloigne. La séquence d’anamnèse, par exemple, quand Ryan Reynolds embrasse la créatrice et se rappelle son ancienne existence, est terrible. Pourrie par une musique électro hideuse et une explosion de feux d’artifices vulgaires. Cela aurait pu être beau, au vu de la profondeur sous-jacente du récit : c’est nul à chier. Pareil pour la séquence de la mort de l’agent de sécurité sur le pont : ce personnage de PNJ qui, contrairement à Reynolds, n’ose pas devenir libre, n’ose pas mettre les lunettes, a quelque chose d’émouvant. Mais sa mort se fait à travers une séquence si hideuse esthétiquement qu’on décroche complètement.
De plus, il faut le dire : plus le film avance, plus il requiert de Reynolds une performance complexe, profonde, et plus Reynolds justement se révèle mauvais. Sa pauvreté à la fois physique et intellectuelle ne dessert pas le film au départ – mais voir que, dans sa seconde partie, cette pauvreté est pour lui une finalité, qu’il ne peut réellement faire mieux en tant qu’acteur, tue le film et tout sentiment d’identification. Il suffit de comparer ce « Guy » avec un personnage très similaire : celui de Truman dans The Truman Show. Initialement un bouffon, un personnage vide, qui va ensuite tenter, malgré ses chaînes, malgré son innocence persistante, de se libérer. Jim Carrey, lui aussi un acteur comique, parvenait quand le film devenait sérieux à révéler une part pure et profonde de lui-même. Reynolds en est désespérément incapable.
On est donc d’autant plus déçu par ce film qu’il y avait possibilité de faire beaucoup mieux. Pas nécessairement un chef d’œuvre, mais au moins un beau film populaire, à la fois divertissant et émouvant. Encore eut-il fallu qu’un bon metteur en scène et qu’un bon acteur se saisissent de ce scénario malin. À la place, on a les médiocres Shawn Levy et Ryan Reynolds, qui confrontés à leurs propres limites, terminent le film non plus du côté de Truman Show, mais de Ready Player One, quand l’univers Avengers et Star Wars s’intègrent à ce jeu vidéo devenu autant un métavers qu’une mise en abyme. Choix totalement idiot, puisque c’était justement le moment, à la fin, de s’éloigner du simulacre absurde de l’univers de jeu vidéo, pour se rapprocher de l’intimité de ce personnage d’intelligence artificielle. Au lieu d’aller vers le dénudement, le film va vers le vulgaire. Véritable hara-kiri. Tant pis. On gardera quand même en tête ce qui était beau dans le film, et ce presque, malgré le film.
Note : 1,5/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
Si vous avez apprécié cette publication, merci de nous soutenir.