Napoléon (2023), une catastrophe intégrale, autant dans l’approche, le ton que le point de vue. Il y avait en fait plusieurs façons d’aborder le personnage, l’une étant d’habiter sa folie, sa soif de conquête, depuis l’intérieur : ce principe aurait permis de transcender toute morale pour se concentrer, au-delà du bien et du mal, sur l’énergie pure de Napoléon. En somme, quelque chose à la Scarface. Mais cela, Ridley Scott ne le fait pas, pour sans doute plusieurs raisons.
La plus évidente étant, probablement, parce qu’il est difficile, aujourd’hui, de représenter l’hybris de l’homme blanc sans la dénoncer, ou en somme, de faire un film nietzschéen. L’autre raison étant, également, que Ridley Scott a 85 ans : il s’est peut-être, dans sa vie, identifié à Napoléon, puisque ce dernier, à de nombreux égards, est un metteur en scène, un stratège, un chef d’orchestre. Mais il n’a de toute évidence plus l’énergie de Napoléon. Si Scott a peut-être été autrefois un dragon, il ne l’est plus depuis longtemps, et pour réaliser un film sur Napoléon depuis l’intérieur, il aurait fallu être possédé par le même vouloir, par le même désir de conquête : il aurait fallu, très probablement, que le film soit mis en scène par un réalisateur jeune, désireux de conquérir son domaine. Scott, à son âge, n’a plus rien à prouver. Il n’a aucune bataille en lui.
L’intériorité, donc : c’était une façon de réaliser Napoléon, et Scott ne le fait pas. Le détachement, alors, le recul, était une autre solution. Une façon de représenter Napoléon sans se laisser envahir par sa soif destructrice : filmer, avec le flegmatisme et la sagesse d’un metteur en scène plus âgé, la lutte pathétique et absurde de l’homme. Sauf que – et c’est là encore le problème – Scott ne le fait pas non plus. Parce que son film, sans entrer dans l’intériorité de Napoléon, ne s’intéresse pas pour autant à d’autres personnages que lui. Il n’y a, ici, pas de personnages secondaires. Il n’y a, ici, pas de même de soldats, ce qui fait que les séquences de batailles sont totalement absurdes et dénuées d’enjeux : elles ont beau être filmées avec de vrais figurants, sans effets spéciaux, elles n’en demeurent pas moins fausses, puisque narrativement dénuées de qualité. L’on ne connaît personne.
Et Scott laisse pantois d’hypocrisie quant, à la fin du film, il nous impose sur un bandeau le nombre de victimes de Napoléon : comme une façon de se distancer de son personnage, de le juger, en évoquant ses morts, sans pour autant n’avoir jamais, dans la forme du film, dans l’art, avoir donné vie à un seul de ses soldats. On est donc là face à un gros problème : celui d’un non-film. Une œuvre, qui n’a pas le courage ou l’énergie d’une intériorité. Mais qui n’a pas non plus le cœur d’une fresque ou d’un détachement. Le tout étant décuplé par un problème de montage criant : à savoir que le film veut désespérément raconter toute la vie de Napoléon (au lieu de se concentrer sur un épisode en particulier) et ce faisant, avance à toute vitesse, sans s’enfoncer dans quoi que ce soit, ni à l’intérieur de Napoléon, ni en ces personnages l’entourant.
De tout cela, oui, il reste bien Joséphine. Une étrange façon, visiblement, de rendre le film 2023 compatible et de se faire passer pour féministe. Sauf que, là encore, comment traiter de l’amour, quand on n’a ni cœur, ni intériorité, ni énergie ? C’est bien simple : on ne le fait pas. Bref, on ressort de ce Napoléon lessivé. Avec l’impression étrange, pourtant, de n’avoir rien vu…
Note : 0,5/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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