Queen of the Desert (2015), film totalement impossible, dont on sait immédiatement que la rencontre entre Werner Herzog et Nicole Kidman, pour une romance épique, va forcément donner quelque chose de fascinant, entre le chef-d’œuvre et le nanar. Le début ne nous fait pas mentir, et l’on se demande si la présence de Kidman, complètement botoxée, tenant là un rôle qu’elle aurait pu avoir dans les années 90, est objectivement ironique, une réflexion étrange sur le corps, compte tenu du propos et du contexte du film (le retour à la source, à la nature de l’Orient, dans les années 10), ou si tout cela est complètement inconscient.
Connaissant Herzog, et nous remémorant encore cet étrange petit documentaire qu’il avait fait sur The Killers, filmant leurs visages vides et hébétés dans les canyons de Las Vegas, entre les déserts et la ville anormale, bouquets de tours miroitantes et artificielles, on se dit là que Herzog prolonge parfaitement ce travail : Kidman est le Las Vegas dans les déserts d’Orient, comme si The Queen of the Desert était, davantage qu’un récit historique, une réflexion méta sur Nicole Kidman en tant qu’objet filmique même, présence fausse, purement occidentale, dans ce désert aux frontières abstraites. Quoi qu’il en soit, outre toute cette approche théorique, on ne peut s’empêcher d’être fasciné de voir Kidman être amoureuse de James Franco, comme s’ils étaient censés avoir le même âge, ou subir la concurrence d’une adolescente, trente ans plus jeune et trente centimètres plus petite ; on rit, aussi, de retrouver Robert Pattinson avec un turban, le début du film semblant parfaitement kitsch, grotesquement artificiel, parfaitement en décalage avec son thème.
Puis, vraiment, quoi qu’on puisse en penser, le film progressivement accroche ; non pas qu’il prenne réellement de la consistance, car tout reste perpétuellement empaillé (Nicole Kidman demeurant extrêmement neutre, froide, presque un personnage de synthèse, James Franco étant parfaitement oubliable, leur histoire d’amour n’ayant aucun intérêt)… Mais de tout cela, Herzog en ressort presque encore plus fort, au fur et à mesure que le thème de son film devient de plus en plus clair : le désert du cœur chez l’occidental. La perte, et plus que la perte, la perte répétée, qui accentue la terrible absence, non pas seulement de Dieu mais tout simplement de l’Autre. On est alors dans bien plus que l’histoire émancipatrice d’une femme refusant toutes convenances ; on est dans le portrait asexué d’un personnage désertique, dont la pseudo-admiration pour l’Orient et la liberté de leur peuple néo-platonicien n’apparaît être qu’une excuse (Herzog ne s’intéresse jamais vraiment à ces derniers) ; non, le personnage de Kidman n’est pas en décalage avec l’Occident rationaliste, elle n’est pas particulièrement sensible aux mythes de l’Orient : elle est simplement une incarnation d’un vide complet, qui dans l’absence s’assume comme tel.
Ce qui la fascine, c’est le désert, bien davantage que ceux qui y vivent. Herzog le filme d’ailleurs assez sublimement, dans une mise en scène franchement conventionnelle au vu de ses standards, mais léchée, perversement adaptée à ce genre de grand mélo. On suit cela avec parfois beaucoup d’émotion, de par le vide de Kidman qui s’accentue, au fur et à mesure des pertes, qui s’enfonce dans le désert intérieur qui, plus que jamais, coïncide parfaitement avec le visage artificiel de son actrice. On suit cela avec parfois aussi beaucoup d’ennui, en raison de ces passages étranges, ratés, kitschs, principalement lorsque le film veut faire de Kidman une vraie amoureuse de l’Orient – ses éloges de son guide Fattuh sont notamment particulièrement cocasses étant donné que le personnage en tant que tel ne parle et n’apparaît quasiment jamais… et d’ailleurs Kidman n’en parle justement que pour éviter d’avoir à évoquer la mort de son vrai amour ; l’Orient, comme une excuse à la fascination pour l’absence désertique…
En somme, le film est bon lorsqu’il transcende son sujet et atteint une abstraction hypnotique, celle des déserts non pas de l’Orient des années 10, mais de l’Occident contemporain, où l’héroïne est alors moins cette aventurière, insoumise et sensible aux mythes orientaux, que Nicole Kidman, actrice censément libre, mais tout à fait fausse. Dans tous les cas, il se passe quelque chose à l’écran, à peu près à chaque instant. Entre le nanar et le chef d’œuvre, oui.
Note : 2,5/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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