Soul (2020), qui démarre à la fois avec beauté et simplicité, quand le héros – ce prof de musique frustré de ne pas être jazzman – meurt par accident et se retrouve dans un monde transitoire, parmi toutes les âmes défuntes dirigées vers la lumière blanche du néant. Le problème, c’est que si plus généralement l’acte 1 et l’acte 3 du film demeurent bons, c’est-à-dire inférieurs à des chef-d’œuvres comme Là-haut ou Vice-Versa, mais néanmoins toujours aussi profonds et créatifs, l’acte 2 du film est une longue perdition sans cohérence, sans nécessité.
On a l’impression, en regardant Soul, que le réalisateur a commis la même erreur que son héros : face à l’appel de la mort, il part à l’envers, il va là où il ne faut pas aller, il lutte contre l’appel d’une narration impérieuse. Et par conséquent, rien ne semble limpide. Ce retour à la réalité, par exemple, alors qu’une autre âme habite désormais le corps du héros, tandis que lui habite celui d’un chat, paraît totalement aléatoire, oubliable : il ne dit rien. Plus généralement, le monde de l’avant, où le héros se retrouve en fuyant le monde de l’après, n’est pas aussi créatif que dans les autres Pixar (loin de la richesse allégorique d’un Vice-Versa) : ces âmes que l’on classe par caractères (les introvertis, les extravertis), et auxquels l’esprit quantique (pour éviter d’évoquer Dieu) confère une flamme, ne semblent pas très pertinentes. Ni poétiques. Parce qu’en réalité, on se dit que le vrai sujet de Soul, ce n’était pas d’éviter la mort, c’était d’y aller : on aurait voulu, dès le départ, que le héros tombe de l’autre côté du portail des âmes.
Mais le film veut tellement à tout prix éviter l’idée du paradis, de l’enfer ou du purgatoire, tout aspect théologique, qu’il patine, se débat, à l’image de son scénario qui demeure contradictoire, avec un énorme trou en lui, et ce trou, c’est bien celui de l’absence de Dieu. Aussi, même si le film retombe bien sur ses pattes dans l’acte 3, avec ce sacrifice au nom de cette âme trop effrayée pour vivre la vie, eh bien l’on ne pleure pas, comme habituellement chez Pixar. Cette relation pourtant avec la jeune âme féminine inadaptée avait de quoi nous toucher – mais le film s’est trop perdu en chemin pour que la pureté allégorique soit préservée et nous touche au cœur (l’absence à la bande-son de Giacchino, remplacé par Reznor et Ross, doit également jouer).
Et puis, même cette fin, on ne l’accepte pas tout à fait. Ce que le film aurait pu avoir de magnifique, c’est d’accompagner le spectateur enfant dans la mort, de la lui faire accepter et de la lui faire voir (comme le faisait Là-haut), de l’aider à l’embrasser, et de suivre son héros jusqu’à la disparition (comme le jeu vidéo Rime, par exemple). Mais là encore, rien à faire, Soul fait demi-tour : il offre à son héros une nouvelle chance de vivre, il refuse de s’en aller de l’autre côté. En résumé, avec ce Soul, Pixar livre un film riche et prenant, mais continue cette descente entamée depuis Vice-Versa. Il partait de si haut, que les films continuent à être bons. Mais bientôt, cela risque de ne plus suffire. Ici, l’erreur est évidente, la ver est dans la pomme : c’est l’histoire d’un scénario qui, dès le début, prend le mauvais tournant, et tout du long, s’entête à se convaincre qu’il ne s’est pas trompé. Un film, en quelque sorte, acosmique – car il a tellement peur d’évoquer une religion en particulier, qu’il ne finit par évoquer aucun Dieu. Un film sans monde.
Note : 2/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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