Stillwater (2021), curieux film qui ne ressemble vraiment à rien d’autre, si ce n’est peut-être parfois à ce qu’aurait donné un épisode de Plus belle la vie si on y avait intégré Matt Damon. En cela, le film est donc souvent ridicule et tout à fait improbable, mais il a néanmoins un vrai charme. Car cette idée de plonger une figure iconique du cinéma américain dans un contexte naturaliste méditerranéen, crée quelque chose, paradoxalement, de l’ordre du rêve. On en vient d’ailleurs à penser à Beckett, qui jouait du même décalage onirique en représentant les déboires d’un afro-américain dans les décors paradisiaques d’une Grèce blanche.
Ici, c’est l’inverse : c’est le redneck à Marseille, le Yankee chez les arabes, et le film par ailleurs est suffisamment intelligent et sûr de lui pour l’assumer. En effet, les français du film font tout pour éviter le sujet du racisme anti-blanc (Camille Cottin expliquant que les habitants de banlieue ne sont simplement pas « habitués à l’autre » ou un professeur d’université arguant que si la fille de Damon est mal vu par les arabes, ce n’est certes pas parce qu’elle est riche – puisqu’elle ne l’est pas – mais à cause d’une « défiance envers les élites » et « les classes éduquées »). Mais Matt Damon, lui, met les pieds dans le plat et s’insurge qu’on puisse trouve si scandaleux de ne pas aimer les arabes (lorsque Cottin, par pure idéologie, interrompt l’interrogatoire avec le tenant du bar).
Bref, le film est d’autant plus étrange et irréel, qu’il ajustement quelque chose de tout à fait réel, et sans de véritables prétentions, toujours en demeurant à hauteur de ce héros un peu bas-du-front qui reste insensible au théâtre (et qui ne comprend pas pourquoi les gens « ne s’y tiennent pas normalement », là encore allusion au naturalisme que le film embrasse). Cette idée, notamment, d’avoir enfanté une tueuse, ce rapport complexe face à un être, que, sans trop vraiment le dire ou assumer, on a raté, tout cela est discret et beau, et on est même ému quand Matt Damon pleure en prenant la petite Maya dans ses bras après lui avoir dit je t’aime.
Car le film jamais n’emprunte la stature de victime, ni donc pour défendre les arabes des cités, ni pour défendre la fille lesbienne, ni même pour défendre son héros, qui essaie mais qui de toute évidence passe sa vie à échouer. De cela, émerge une honnêteté qui dépasse l’idéologie, et dans lequel Matt Damon, représentation idéale de l’Amérique déclassée, corps de muscles inutiles, autrefois héros et réduit à présent à jouer le redneck loser dans un Occident grand-remplacé, est véritablement excellent. Peut-être, même, ne l’avait-on jamais vu aussi bon. Bref, Stillwater est parfois bête, au bord du ridicule et du grotesque – et pourtant néanmoins il demeure maîtrisé et souvent beau.
Note : 2/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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