La « Start-Up Fiction » ou comment rire du désastre annoncé

Hein ? Décrire avec sérieux le processus d’écriture de Ma vie® est une start-up (Tinbad, 2024) mené à deux, et donc à quatre mains, vingt doigts, et même quarante en comptant les orteils (on a lu Grothendieck, on ne rigole pas avec les mathématiques) ? Plutôt être écartelés en place publique, avec du plomb fondu dans les plaies s’il vous plaît, mais sans diffusion en live sur TikTok (beurk).

Vérité première et mille fois vérifiée depuis Aristophane et Rabelais : le rire est pour nous bien davantage qu’une seconde nature, et si nous avons pour habitude de réfuter in petto la mignonnette notion de rire de résistance, le temps est sans doute venu de claironner notre dégoût si on nous en donne l’occasion. Rire est l’arme ultime, la dernière encore possible, et seul son déclenchement obtenu par le mot juste évitera le désastre annoncé.

Jusqu’à preuve du contraire, d’abord fut le Big Bang, puis des tas de trucs historiques et géologiques assez monotones, comme les saisons, les guerres, les épidémies, et soudain… Ma vie® est une start-up ! Enfin un peu de joie sans mélange. Enfin un peu de concret. 227 g de viande hachée menue, avec du nerf et du sang, de la souffrance animale, des vers microscopiques, des cris dans la nuit. On écrit des livres, on arrive à 300 chansons transparentes, 240 vidéos dédaignées par l’univers : il était temps d’écrire un roman !

Par manque complet d’imagination, on a puisé nos personnages dans les figures croisées sur le chemin. Comme tout le monde. On les a essorées, malaxées, mixées… Puis installées dans un monde étriqué, social, décevant. Un réel, recevable par une âme à peu près sensible, sans être hypersensible.

Ce roman est torsion de ce réel pour lui donner forme humaine, rire au 9e degré, source de stupéfaction. Le tout emmené par un narrateur possédé, grenouille minable devant un bœuf qui l’ignore, crapule, petit crapaud que nous sommes tous par intermittence, dont on connaît tous les secrets, les peurs, les traumatismes. Une crapule à la hauteur de son siècle, très ordinaire. On la rencontre en nous, ailleurs, on synthétise cela, avec encore des blagues, tout un écosystème de blagues.

Et non, l’acte de création ne se rattache jamais à un trouble ou à une pathologie. Se nettoyer du réel, ça sera donc se coltiner le réel et en rire, aussi simple et sain que cela.

Un camarade écrivain nous le dit : « La littérature, c’est le sale ». Christophe Esnault écrit sale, bien sale, et Lionel Fondeville alterne équarrissage, ajout fleuve improbable, équilibrage, détartrage, rodéo, et le cas échéant, salissure du sale.

Les lecteurs de Huysmans, Martinet ou Hyvernaud se régaleront des inconforts tricotés à la main dans Ma vie® est une start-up. De rares espaces critiques, avec leur vision singulière, l’ont recueilli dans leurs mains en coquille de noix. Et en amont, un éditeur – Tinbad – a osé publié l’impubliable. Il perdra de l’argent, bien sûr, mais un livre à son catalogue, on ne sait pas encore lequel parmi plus de soixante titres (le nôtre, qui sait ?), brillera encore dans mille ans.

Texte © Christophe Esnault & Lionel Fondeville – Illustrations © DR
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