Le ventre de l’art : Niki de Saint Phalle

Les origines
En janvier 2015, sous la très belle hauteur sous plafond du Grand Palais, j’ai découvert dans une exposition monographique, les œuvres monumentales de Niki de Saint Phalle. Ce fut un choc. Ou plutôt une série de secousses. J’éprouvais du dégoût devant ses parturientes affreuses et grimaçantes. J’étais saisie devant toute la violence qui surgissait de ses tableaux tirs, ses œuvres créées à coups de carabine. Enfin, je jubilais face aux grosses nanas bariolées, multicolores, surdimensionnées et disproportionnées, mais toutes extrêmement libres et joyeuses. En sortant de l’exposition, je savais que j’allais écrire sur cette artiste qui m’avait touchée en plein corps. Mais je ne savais pas encore quoi. Je me suis mise à lire. Je me devais de mieux connaître Niki de Saint Phalle. J’ai dévoré la plupart des biographies sur cette artiste, celle de Catherine Francblin, Niki de Saint Phalle : la révolte à l’œuvre (2013), pour n’en citer qu’une, le roman de Catherine Guennec, La Sarabande des nanas (2022), ses œuvres autobiographiques, Mon Secret (2014), Traces (1999), Harry et moi, les années en famille (2014). À travers ces lectures, j’ai découvert son enfance traumatique, les viols qu’elle a subis de son père, l’éducation stricte et catholique assénée par la mère. J’ai été à Beaubourg voir et revoir – parmi tant d’autres – La Mariée, je suis allée au musée d’Art moderne et d’art contemporain de Nice voir ses Mères Dévoreuses, mais aussi au Sprengel Museum de Hanovre rencontrer ses Parturientes, ou encore sur les berges de la Leine, pour découvrir trois fabuleuses Nanas. J’ai pris le train pour Mons en Belgique, afin de visiter l’exposition : « Niki de Saint Phalle. Ici tout est possible ». Puis, je me suis retrouvée chez moi, devant mon écran : Qu’allais-je faire de tout ce matériau ?

Atelier de fabrication
Je ne voulais pas écrire une biographie. Catherine Francblin en avait rédigé une colossale. Le genre par ailleurs ne correspondait pas à mon désir. Je souhaitais une Niki de Saint Phalle incarnée, vibrante : je voulais la faire vivre. David Foenkinos avait donné vie à Charlotte Salomon dans Charlotte, Laurent Binet à Roland Barthes dans La Septième fonction du langage, Olivia Elkaïm à la dernière maîtresse de Modigliani, dans Je suis Jeanne Hebutern, Fabio Viscogliosi au mime Harpo Marx, dans Harpo. La liste des biofictions était longue… Mon envie devait donc être réalisable. Mais à ma façon. Je voulais approcher Niki de Saint Phalle au plus près. En réécoutant les nombreuses interviews qu’il nous reste d’elle, j’ai relevé ses mots claquants et l’impétuosité de son ton. L’artiste assénait des phrases comme des coups de fouet. Mon style tenterait de traduire cette trempe. Je devais ensuite trouver un angle. Dans son œuvre, les femmes sont omniprésentes, les parturientes côtoient les déesses, les mères et les putains. Mais une figure se détache parmi toutes : la mère. Mon fil était trouvé ! Le lien à sa mère : Jeanne Jacqueline Harper. J’allais ainsi partir de la naissance de Marie Agnès (premier prénom de Niki) en 1930, pour tirer le fil entre elle et sa mère, puis faire défiler son enfance chaotique et dévider la pelote jusqu’en 1966, date de création de sa gigantesque Hon. Cette monumentale femme enceinte, « mère cathédrale », couchée sur le dos, jambes écartées, était pénétrée par le sexe. On en sortait aussi par le vagin. Ainsi, j’ai écrit l’histoire de sa naissance à sa renaissance, et l’ai ponctuée par des chapitres courts, permettant de visiter les pièces de Hon, qui sont autant d’échos à sa propre vie.

Célébration
Dix ans après ma découverte de Niki de Saint Phalle au Grand Palais, mon livre – En plein ventre (Ateliers Henry Dougier, 2025) – est publié. Et comme un beau cercle vertueux, une nouvelle exposition est organisée dans le même lieu : « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten ». L’actualité de cette artiste est donc foisonnante. Certaines de ses œuvres sont présentes dans l’exposition « Tous Léger ! » au musée du Luxembourg, une Nana est exposée dans « Corps et âmes » à la Bourse de Commerce, une rétrospective lui est également consacrée à Aix en Provence : « Niki de Saint Phalle : le bestiaire magique ». Ce n’est pourtant ni un anniversaire de mort, ni celui d’une naissance. Si Niki de Saint Phalle est aujourd’hui autant célébrée, c’est parce que la dimension politique de son art nous parle. Ses engagements contre les injustices (les carcans imposés aux femmes, le poids de la religion, l’exclusion des noirs, des étrangers, des homosexuels) résonnent avec notre actualité. Mais, c’est aussi parce que son art multicolore, débridé et libre, échappe à la neurasthénie contemporaine et répand l’humour, la couleur et la joie.

Texte © Charlotte Barberon – Illustrations © DR.
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