Sans autre couleur : bleu # 1
Les mers diffèrent comme les pays, les rivages diffèrent de notre univers, des rêves aquatiques nous viennent, d’autres courants nous appellent, des couleurs azuréennes s’étalent sous des cieux transparents, des moments épars dans le temps, on se demande si cela existe, la nuit ou le jour, si on a rêvé ou si c’était vrai, en se réveillant, on se remémore l’immensité, le roulis des vagues qui déferlent sans cesse, le silence sourd des profondeurs, entre le ciel et la terre, on se souvient avoir vu d’étranges créatures enchanteresses qui se mouvaient, dans une scène homérique, qui annonçaient quelque chose, presque fantastique, néanmoins humain, à travers une vision trouble ou une sensation lucide, à la fois attirante et repoussante, sous couvert d’un chant lancinant dont l’accent envoûtant tournait la tête et faisait perdre autant la raison que l’orientation, on se demande si c’était là-bas ou ici, plutôt là-bas, à moins de l’avoir rêvé, tout paraissait pourtant si vrai, pourtant si réel bien qu’on ne sache plus vraiment, les images sont altérées comme décomposées, sous le ressac impétueux de Nérée, sous l’onde fougueuse de Thalassa, parmi les reflets argentés ou bien les souvenirs enfouis qui surgissent bleuâtres et ténébreux, cobalts et sombres, dans les méandres de la mémoire ou à travers ses réminiscences, au cœur de fonds marins prodigieux, sans que personne ne puisse l’imaginer, les couleurs sont souvent imperceptibles, sous les coups du ressac, sous l’impulsion de Céto, parmi d’autres figures aussi fictives qu’étoilées, les images s’échinent à montrer et les mots à exprimer, quelque chose d’autre, sorti du sommeil comme un besoin, une nécessité, sentir monter en soi une renaissance surgie de nulle part, qui révélerait toutes les sensations, celles qui permutent et celles qui transcendent, qui abolirait ces états incertains, cette symphonie Monoton, ces visions mémorielles dans la répétition des jours, une émotion nouvelle, à la fois clairvoyante, pénétrante et saisissante, une émotion chimérique, que l’on croirait encore rêver, une bleuté hallucinante, sans autre couleur ni autre matière, que celle d’une pureté égarée et à jamais retrouvée.
Vidéo © Isabelle Rozenbaum – Texte © Sylvia Fast
Le projet Sleeping Works d’Isabelle Rozenbaum a reçu la bourse « Brouillon d’un rêve 2014 » (SCAM).
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