Sans autre couleur : rouge # 1
Les rituels diffèrent comme le temps, les traditions diffèrent de notre univers, des rêves de mutation nous viennent, d’autres origines nous appellent, des couleurs foncées s’étalent sous des ciels gris, des moments épars dans le temps, on se demande si cela existe, la nuit ou le jour, si on a rêvé ou si c’était vrai, en se réveillant, on se remémore les paysages, les villages enfouis dans le creux de vallées sombres et de prairies blafardes, entre le ciel et la terre, on se souvient avoir vu d’étranges animaux dépecés, dans une scène domestique, qui annonçaient quelque chose, presque mortifère, néanmoins humain, dans la pénombre ou sous l’éclat de vieux lampions, dans des basses-cours glauques, dans des porcheries froides, recouvertes par l’odeur brûlée de la chair, des entrailles chaudes et des membres sectionnés, on se demande si c’était là-bas ou ici, plutôt là-bas, à moins de l’avoir rêvé, tout paraissait pourtant si vrai, pourtant si réel bien qu’on ne sache plus vraiment, les images sont obscènes, écœurantes comme salies par le sang, entre les mains assassines des hommes, entre les mains agiles des femmes, sur des tables renversées, ou bien sur des étals maculés, construits en métal ou en bois, rafistolés selon les endroits, dans de petites caves ou au milieu d’une cuisine, entre des murs humides et suintants, sans que personne ne puisse l’imaginer, les couleurs sont souvent démodées et sordides, dans les campagnes désertes, parmi les corps de fermes décatis, les images s’échinent à montrer et les mots à exprimer, quelque chose d’autre, sorti du sommeil comme une faim, un désir, sentir couler dans les veines une vitalité surgie de nulle part, qui stimulerait tous les sens, ceux qui excitent et ceux qui soulagent, qui retiendrait ces moments de démence, ces pulsions des jours instinctifs, une vitalité étrange, à la fois fougueuse, rugueuse et saisissante, une vitalité chimérique, que l’on croirait encore rêver, une rubéfaction ardente sans autre couleur ni autre matière que celle d’une pureté égarée et à jamais retrouvée.
Vidéo © Isabelle Rozenbaum – Texte © Sylvia Fast
Le projet Sleeping Works d’Isabelle Rozenbaum a reçu la bourse « Brouillon d’un rêve 2014 » (SCAM).
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