Oxygène (2021), un huis-clos qui rappelle, dans le postulat, Buried avec Ryan Reynolds, puisque si nous ne sommes plus enfermés dans un cercueil, nous le sommes dans un caisson. Mais l’originalité du film, c’est de jouer de l’amnésie du personnage, car nous sommes donc parfaitement dans la peau de l’héroïne : comme elle, nous sommes enfermés là, et comme elle, nous ne savons rien. À tel point que Mélanie Laurent devient presque l’incarnation de l’objet film en tant que tel, puisqu’elle finit par réaliser qu’elle est un clone, et qu’elle a commencé à vivre au moment même où le film a démarré, et qu’elle va mourir au moment même où le film va cesser. Elle est donc que plus bloquée dans un caisson, elle est bloquée dans un film. Sa vie est limitée à la forme du film. Elle est une femme-film. Une reproduction de l’objet. Une reproduction de l’image.
Cependant, c’est aussi dans cette idée de l’amnésie que Oxygène va parfois réaliser quelques faux pas. Car il va en profiter pour développer une succession de rebondissements narratifs souvent lourds, propres à une mauvaise série, dont on aurait pu se passer. Autant la révélation finale est belle (qu’elle soit en fait un clone, dans un vaisseau spatial), autant les détours pour y arriver sont parfois ridicules. Penser, par exemple, que Léo est notre mari, puis penser que c’est en fait une hallucination, puis réaliser qu’en fait si, c’était bien notre mari, mais qu’il est en fait mort, jusqu’à comprendre que la femme à qui on parlait était une version de nous-même en plus âgé… Le film semble parfois ne pas assumer sa nature de huis-clos, et angoissé par sa propre histoire, comme s’il était narrativement claustrophobe, paraît paniquer et bourrer sa narration du plus d’idées possibles, au risque de sortir de la trajectoire naturelle du récit et d’être hors-sujet (comme par exemple les images de la vieille Mélanie Laurent en train de faire une conférence…).
Mais peu importe, parce que le film demeure toujours prenant, et surtout, il retombe bien sur ses pattes. La révélation notamment de la réelle nature du caisson est belle, quand on quitte l’habitacle et qu’on découvre les milliers de caissons similaires. On est alors à mi-chemin entre Toy Story 2 (Buzz découvrant dans le grand magasin les centaines de jouets, dans leurs paquets, exactement comme lui) et de Oblivion (avec Tom Cruise face à sa légende démultipliée, l’homme face à sa postérité incarnée par les milliers de clones). Cette séquence est réussie et significative. D’une allégorie sur la condition humaine (être enfermé dans un caisson comme l’on est enfermé dans son propre corps, ne pas se rappeler qui l’on est de la même façon, en fait, que l’on ne sait jamais qui on est), de ce postulat métaphysique, le film transfigure ses détours narratifs de séries, pour conclure son récit avec profondeur, avec ce moment d’épiphanie, où l’héroïne sort d’elle-même et perçoit la vie comme elle est : une succession d’absurdités, empire de similarité. Nous sommes tous pareils : nous sommes tous enfermés, nous sommes tous en train de lutter, nous sommes tous dans l’ignorance de nous-mêmes. Nous sommes tous en train de mourir. Et c’est en comprenant cela, précisément, que l’héroïne va pouvoir survivre. Rien ne sert de sortir de son corps : il faut l’oublier. En somme, pour se sauver, il ne faut pas sortir physiquement du caisson, il faut en sortir idéalement. Spirituellement. En cela, la fin est belle, puisque contrairement à ce qu’on pouvait attendre au début du film, elle ne survit pas en se libérant de sa prison : elle survit, désormais détrompée, consciente de qui elle est et de où elle est, en acceptant d’y rester enfermée et de se rendormir.
Évidemment, le film est aussi, entre autres, une réflexion sur le confinement en période Covid (amusant par ailleurs de retrouver le terme omicron) et surtout une parabole écologique (on aimera la phrase métaphorique de MILO : « désactivation des scénarios catastrophes ». C’est en cessant d’alimenter en énergie le pessimisme de la machine que l’héroïne peut survivre… espèce de tacle à l’angoisse dépressive de la jeune génération représentée par dear Greta). Autre belle idée : celle de la planète qui ne tourne pas, inhabitable sur sa face éclairée parce que trop chaude, inhabitable sur sa face nocturne parce que trop froide, et où l’on ne peut donc vivre que sur la frontière entre les deux. On aurait aimé la voir. En revanche, on aimera beaucoup moins de voir, justement, l’héroïne et son Léo retrouvé, à la fin, dans un plan laid, bête et inutile. Aussi, peut-être est-ce parce que Alexandre Aja est devenu plus ou moins un américain, mais beaucoup des répliques du film semblent parfois peu naturelles en français, et paraissent être de l’anglais traduit. Secondaire, mais quand même…
Note : 2/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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