Reminiscence (2021), malheureusement tout à fait à l’image de ce que Lisa Joy commet depuis trois ans sur Westworld : c’est-à-dire une incapacité à faire vivre son récit et à faire passer l’intuition avant le concept. Par conséquent, comme dans Westworld, on se retrouve avec une succession de dialogues qui n’appartiennent à aucun des personnages qui les tiennent, mais qui ne sont qu’une façon pour Joy de parler avec elle-même. Ce qui provoque souvent l’impression que, ici, aucun personnage ne vit, tous réduits au statut de marionnettes ne réagissant pas au récit qu’ils traversent, mais parlant du film lui-même, comme si on assistait à des réunions de scénaristes méditant sur le sens de ce qu’ils écrivent et de ce qu’ils veulent dire.
Et comme dans Westworld, Joy commet l’erreur de penser qu’être féministe, c’est croire qu’une femme doit être badass : on a donc encore le droit à ces combats interminables où une femme fait des pirouettes en mitraillant à tout va. Prolongeons d’ailleurs le parallèle avec Westworld dans ce qui pourrait s’apparenter à des qualités : car dans les deux cas, c’est encore le début qui fonctionne le mieux, parce que c’est là qu’on peut encore pardonner aux idées de ne pas s’incarner en émotions et en enjeux. Évidemment, tout l’aspect film noir, avec la ridicule femme fatale (pauvre Rebecca Ferguson) sonne tout de suite faux. Mais quand même : on s’intéresse à ce monde d’un Miami submergé, bien que représenté de manière parfaitement impersonnelle et artificielle. On s’intéresse à cette idée d’une humanité siphonnée par la nostalgie, réduite à vivre dans ses propres souvenirs.
On doit même le dire : le personnage de Thandie Newton nous apparaît sympathique, surtout comparé à ce qu’est devenu son rôle dans Westworld. Mais quand l’acte 2 commence, quand la lourde structure scénaristique de Joy se met en place, alors cela devient tout à fait irregardable. Car, rien, malheureusement n’est jamais habité : Hugh Jackman se met à poursuivre quelque chose que Joy n’a jamais été capable de traduire réellement dans son premier acte. Aussi, comment être nostalgique d’un début de film qu’on a même pas eu l’impression de vivre ? Si Joy, au moins, avait été consciente de son incapacité à représenter cet amour regretté, elle aurait pu tout simplement partir sur de l’abstraction assumée. En cela que le film aurait été moins pitoyable si Hugh Jackman avait recherché quelque chose que le spectateur lui-même avait ignoré. Mais là : on a presque de la peine pour Jackman, exceptionnellement nul (mention à la séquence où il tient en joug le flic ripoux).
Bref, déjà que Lisa Joy est une scénariste sans vie qui a besoin de collaborateurs plus intuitifs, la laisser seule aux manettes d’un film, et en plus lui en confier la réalisation, était une idée catastrophique (c’est le contraire qu’il fallait faire : non pas lui offrir la mise en scène, mais la faire co-écrire avec un réalisateur). Le résultat est terrible. On n’aimera que deux choses. D’abord, Thandie Newton, qui s’en sort d’autant mieux qu’elle s’échappe du film assez vite (un peu comme Selena Gomez dans Spring Breakers ou Sky Ferreira dans The Green Inferno, les trois quittant le désastre avant que l’acte 2 ne commence).
Et la fin, curieusement, qui embrasse la nostalgie et va à l’opposé de la morale attendue sur le lâcher-prise. On aimera même la réplique de Newton à propos de Jackman : « Il a fait demi-tour. J’ai avancé. J’aime croire qu’on a fait tous les deux le bon choix ». À croire que Joy n’est pas si bête. Mais est-ce une artiste ? On peut sérieusement se poser la question.
Note : 0,75/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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