Les éditions Louise Bottu proposent quatre collections. L’une d’entre elles a pour nom « Contraintes ». On y trouve des textes d’auteurs contemporains écrits sous contraintes littéraires. Le premier texte de la collection, publié en 2013, consiste en la réécriture de deux poèmes d’Apollinaire, dont « La Chanson du Mal-Aimé » qui devient « La Chanson du Mal-Aimant », est le plus long lipogramme (en « e ») versifié. Il est l’œuvre de Jean-Louis Bailly. Actuellement, la collection compte 9 titres, le dernier étant avec/sans titre, de Florence Saint-Roch & Dominique Quélen. Or en 2016, dans cette même collection, paraît Rendez-vous à Biarritz, de Mary Heuze-Bern, un bref texte en forme de parodie de polar, qui relate une sombre enquête dont le mystère, loin de se résoudre, s’épaissit au fil des pages. Ce titre retient particulièrement mon intérêt. En 2020, j’en propose donc une version « roman graphique » aux éditions Louise Bottu qui est aussitôt acceptée par son éditeur, Jean-Michel Martinez-Esnaola, mais qui, pour diverses raisons, ne paraîtra qu’en 2023.
Professeure d’arts appliqués, peintre et illustratrice, j’avais déjà illustré plusieurs couvertures pour les éditions Louise Bottu. Si le texte de Mary Heuze-Bern m’a séduite, c’est parce que l’auteure « jongle avec les clichés du polar, en s’amusant des contraintes pour retrouver des marges de liberté dans un genre parfois corseté par les réflexes et les habitudes », comme l’a pertinemment relevé le critique Archibald Ploom (Culture Chronique, 2016). Aussi, je me suis mise au travail avec l’objectif de proposer ce roman graphique, publié sous le même titre. En effet, j’ai voulu respecter la lettre et l’esprit du texte d’origine comme de la collection où il est paru. Le texte intégral est donc restitué sous une forme dont je vais reparler. À ces contraintes littéraires se sont alors ajoutées des contraintes propres au graphisme, les illustrations originales renvoyant à des artistes dont le nom est mentionné en fin d’ouvrage : Alexandre Mikhaïlovitch Rodtchenko, Jasper Johns, Marcel Duchamp, François Morellet, Jean-Michel Alberola, Francis Bacon, Henri Matisse, Damien Hirst, Jeff Wall, Yves Klein, Salvador Dali, Gustave Courbet, etc. Pour mieux comprendre, il est utile d’apporter quelques précisions techniques, le fond et la forme étant indissociables, comme chacun sait.
Toutes les planches ont été réalisées sur papier Canson 100% cellulose, 300g/m2, papier au départ pour aquarelle (« Montval »). J’ai utilisé divers outils et techniques selon mes envies et pour tenter des « expériences », mais aussi selon les besoins liés à la mise en page et au découpage. Bien évidemment, il est convenu que, stylistiquement parlant – et ce pour de bonnes raisons, les mêmes qu’en cuisine, peut-être ! – mieux vaut faire des choix techniques clairs et s’y tenir. Ou bien alors les transgresser, mais sur des passages choisis et dans un but précis. Bref, il ne faut pas tout mélanger, ni trop en rajouter non plus.
Pour ma part, j’ai procédé dans un entre-deux. S’il y a de l’aquarelle, il y a aussi de l’acrylique, de la gouache, de l’encre de chine, et de manière plus importante, du feutre (à alcool essentiellement, mais aussi, marqueurs Posca). Avec le feutre, ce papier n’est pas conseillé car il boit l’encre et épuise vite le réservoir : j’ai donc dû souvent mélanger sur la même surface de l’aquarelle, du feutre avec du crayon, du pastel, du stylo bille, etc., sans même parler des collages, notamment pour le titre des chapitres, rarement pour les illustrations : pour la photo de l’eau de la piscine vue de dessus, pour la reproduction du tableau de Léonard de Vinci (le bébé barbu du début avec sa tétine ajoutée, retouché aux crayons), pour l’œil du portier noir, pour l’arrivée à Biarritz avec le « stop » de David Hockney, pour la double page de fin, et pour les « extraits » des « références » dans l’eau.
Mes planches sont donc toutes réalisées « à la main ». Pas de numérique, sauf pour l’incrustation d’une typo sur la planche où l’on peut lire le texte – presque publicitaire – pour la montre Swatch bleue, et évidemment pour réaliser la maquette finale. Pour ce faire, j’ai quelque peu nettoyé les planches et apporté certaines corrections (lisibilité du texte surtout, pas assez peut-être…) sur ma tablette.
L’impression éclectique que l’on peut avoir des outils et des techniques employés vient du fait que je voulais que l’on sente l’écriture de mes dessins, leur mouvement, leur construction. Sur le côté volontairement inachevé des planches, j’ai suivi justement le récit qui, en général, se révèle être plus esquissé que raconté. Le brouillon de l’écriture (au crayon) apparaît parfois sur l’image, sous l’écrit encré. Ou encore, l’encre du recto est visible sur le verso, comme si c’était la planche originale où les feutres auraient traversé le papier, sachant que les pages originales ne sont travaillées que d’un côté, bien sûr. La mise en abyme aussi, autre élément important du récit, qui apparaît parfois, etc.
J’ai pu également jouer avec le rapport texte/image – avec ou sans références – mais sans enfermement stylistique. Un peu en miroir du roman, où chaque scène me suggérait d’autres références, d’autres façons de faire, avec une tendance vers le mix, mais en évitant une seule et même technique, et sans oublier aussi que la réalisation de ce roman graphique s’est étalée sur plusieurs années…
Texte & Illustrations © Rita Menz & DR
Si vous avez apprécié cette publication, merci de nous soutenir.