Ce livre, Paris Ars Universalis (L’Harmattan, 2017), par lequel j’expérimente une méthode prospective de Design-Fiction, est le dernier épisode d’un long projet de recherche sur le futur du Grand Paris dont je peux tenter une généalogie, et qui commence par quelques signes avant-coureurs.
Architecture d’images et imaginaires urbains
En 2001, le projet photographique « Inside Out » que j’avais exposé à l’Institut français d’Architecture (IFA), se focalisait sur le cas de Saint-Quentin-en-Yvelines, ville nouvelle symptomatique de la banlieue parisienne, comme d’une conception moderniste et fonctionnelle de la planification urbaine. En scannant ce territoire avec mon appareil photo, et en redistribuant les données collectées (500 photographies), sous la forme d’un écosystème vivant dans le jardin de l’IFA, j’avais déjà eu envie de métamorphoser artistiquement les images et imaginaires de cette zone ombrée du Grand Paris. Après la ville-écosystème organique et connectée, à l’image des réseaux d’information qui, à l’époque et en tandem avec le capitalisme cognitif, commençaient tout juste à augmenter le monde, c’est le modèle de la ville datascape (concept élaboré en 1999 par les architectes hollandais MVRDV) et de la ville « cosmos informationnel » que j’exposais cette même année à la galerie Paris Project Room. L’installation « Bulle Poético-Spéculative » qui ne parlait pas directement du Grand Paris, est devenue quelques années plus tard, la figure d’inspiration de tout mon projet de recherche sur la métropole.
Projet « Paris Galaxies, une vision pour le Grand Paris »
En 2007-08, j’ai eu l’occasion d’être impliquée dans les élections municipales à Paris, et de réfléchir au programme, et donc aux futurs possibles de la capitale. À la suite de cette aventure qui était aussi le moment où le gouvernement français (re)lançait le processus de métropolisation, j’ai tout naturellement ouvert un dossier de recherche « Grand Paris » au sein de mon Laboratoire d’Ingénierie d’Idées (LIID). La complexité et la multi-dimensionnalité du challenge urbain m’ont captivée par leur immensité. La métaphore de la ville-cosmos m’a permis de rationaliser poétiquement cette réalité vertigineuse, et d’en ébaucher une « bigger picture » d’un nouveau genre. J’ai eu envie d’approfondir et de tester cette figure abstraite et multiple de la galaxie urbaine comme manière de créer du discernement, tout d’abord sous la forme d’un diagramme conceptuel et d’un premier ensemble de solutions futures, convoquant de diverse manière la métaphore stellaire. Multipolarité et bassins de vie ; réseaux de lieux, d’acteurs ou de mobilités ; gouvernance dispatchée en entités satellites les unes des autres ; trous noirs et histoires des quartiers oubliés ; dimensions immatérielle, cognitive et digitale devenues « ciel thématique » chargé de fantasmagories, cloud informationnel et écran prospectif sur lequel l’imaginaire, tout à la fois, puise et projette ses spéculations ; tout devenait constellation sur une cartographie à strates multiples de la galaxie urbaine. Ainsi est né en 2008, le vaste projet « Paris Galaxies, une vision pour le Grand Paris » qui présente de très nombreuses étapes de recherche, workshops, expositions, conférences, publications, compositions photographiques, en France et à l’étranger. En 2012, le projet intègre le laboratoire « Sémiotique des Arts et du Design » de l’Institut ACTE (Art, Création, Théorie, Esthétique) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, zoome sur les enjeux spécifiques de la constellation artistique du GP, et sera lauréat à deux reprises (2013-14 et 2015-16) du programme du recherche Paris 2030 de la Ville de Paris.
Expérience de Design-Fiction
Dernier épisode de ce long work in progress, Paris Ars Universalis revient en zoom arrière à une vision plus holistique, et pousse encore un peu plus loin le raisonnement de la galaxie urbaine, en s’appuyant sur l’idée que d’une certaine manière, le Grand Paris, global city multiculturelle, tout à la fois carrefour du monde et berceau l’universalité, contient en elle « tout l’univers ». Ainsi le Grand Paris devient-il un laboratoire de la globalisation, mais aussi de la connaissance et de la construction de nos modes d’existence dans un contexte de data-déluge, de capitalisme cognitif et esthétique, et de post-vérité. Hypothèse centrale du récit, l’accueil d’une Exposition universelle en 2025 devient le pivot de ces nouvelles investigations à 360°. La question se pose alors de l’épaisseur, des jeux de surfaces et de strates (images et imaginaires) de cette vision cosmologique, d’où mon choix de cette citation foudroyante de Rem Koolhaas, « The Cosmetic is the New Cosmic », qui ouvre le récit.
Plus qu’une simple expérimentation littéraire, la méthode de recherche utilisée dans Paris Ars Universalis s’apparente aux domaines émergents du Design-Fiction et du Design-Spéculatif qui consistent à introduire une réflexion critique, anthropologique et prospective (nécessairement spéculative) dans les processus de conception créative. Le principe consiste à mettre en scène par le récit (ou d’autre formats) des hypothèses et « solutions » futures, à simuler par la narration des conditions de réel où de nombreuses frictions opèrent, et à donner à sentir l’impact de ces intuitions. Le format du récit en neuf grandes solutions renvoyant chacune à une strate thématique de la métropole (urbanisme, gouvernance, économie, art, connaissance, culture, croyance, web, etc.), est directement inspiré des Solutions Books édités par Sternberg Press, mais s’en distingue par l’ambition stratégique d’exercer un réel soft-power.
Cette démarche est aussi très différente d’une science-fiction purement dystopique et critique, se focalisant sur la science et les technologies, car elle cherche à résoudre les problèmes qu’elle soulève sans toujours y parvenir. Comme je le fais dans tous les projets du LIID, je suis intéressée par cette recherche d’efficacité critique au cœur même de la fabrique du monde.
Texte & Illustrations © Raphaële Bidault-Waddington
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