Le Renvers (Quidam, 2021) fait suite à deux romans qui ont été éprouvants : Le Majestic et L’Eau-Forte, romans dont je suis fier, mais qui n’ont eu que très peu de lecteurs. Je ne suis pas du genre de ceux qui se complaisent dans la catégorie des écrivains maudits, j’aimerais être lu, j’envie les écrivains qui vivent de leur plume, qui, à chaque parution, affolent les têtes de gondole. J’aimerais, oui, mais ce n’est pas possible, les thèmes qui m’intéressent ne sont pas fréquentables et je veux taper là où ça fait mal.
On y parle de sexe, de changements d’identité, de pédophilie (tabou ?). Je n’ai jamais touché un enfant de ma vie, mais d’autres non. Cela suffit pour m’interroger. Je prends tout ce que l’humanité commet, en bien, en mal. Tout, même si cela me fait horreur. Bref, toute une panoplie dont je regrette amèrement qu’elle ait fait écran à tout le reste: je suis un écrivain, pas seulement un romancier. Je me fiche des belles histoires comme de l’an quarante, plus encore de l’autofiction, des trucs et des machins familiaux : « ma mère était ainsi », « j’ai été violé(e) à douze ans », etc.
Je m’intéresse davantage à ce qui tarabuste l’humain dans l’arrière-scène, là où l’on chuchote de soi à soi, là où sont les ombres qui nous habitent et nous hantent. Le roman, les nouvelles (je ne fais pas une grande différence, tout est une question de rythme et de durée) sont un moyen de recherche, ils forment une heuristique comme il en est d’autres en art, dans les sciences, partout où l’humain, délaissant ses habitudes, commence des voyages aventureux loin des normes et des conventions.
Certains aiment la langue pratiquée dans mes récits, d’autres me trouvent pompeux. Je m’en fiche. On écrit comme on est, nulle tricherie à ce niveau. J’ai été bercé par Mirbeau, Barbey d’Aurevilly, Cocteau, Mauriac, Genevoix, Giono, Bosco, Verne, Hugo… Le parler moderne, naturel, spontané m’est totalement indifférent, encore plus les recherches stylistiques à la Oulipo. Les mots doivent servir l’idée, non l’inverse. Nulle fantaisie dans mon œuvre, aucun humour, que du métal travaillé par la flamme, que de la matière œuvrée au feu de l’âme (un mot auquel je redonne toute sa noblesse). Que ceux qui cherchent à se distraire m’évitent, cela vaudra mieux, il ne faut pas tirer le diable par la queue, le diable finit toujours par se venger. L’avis de la Critique est intéressant, sans doute, mais j’avoue que je ne lis plus rien me concernant (cela dit sans faire trop d’effort, les articles m’ayant pour cible se sont raréfiés jusqu’à l’indécence ces dernières années).
Je veux un (petit) peuple de lecteurs affamés par le vrai, pas par le spectaculaire endimanché des idées rebattues dans les cercles associatifs. Je souhaite un (petit) peuple de monstres à mon égal, une monarchie de vilains. Il reste beaucoup à faire, et pour cela il faut être léger comme Ariel, et profond comme Prospéro.
Que mes écrits servent de modèle à quelques-uns serait déjà beaucoup. Dans les couloirs obscurs où l’on m’a placé, tel un Minotaure, que puis-je espérer d’autre ?
Texte © Robert Alexis – Illustrations © DR
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