Je n’imaginais pas combien ma série Antichambres, cet espace intermédiaire où il est possible de méditer que « toute conscience est conscience de quelque chose » (Husserl), aurait quelques années plus tard une telle résonance sur d’autres continents. Depuis 2015, ma posture allongée dans les lieux publics et symboliques reflète effectivement mes désillusions, ma lassitude, voire ma propre finitude face à la démence humaine et à la folle course du monde. Ma série se voulait déjà une invitation à ne rien faire, à ne rien tenter, à ne rien prouver de soi. Or en 2021, le mouvement chinois Lying Flat Attitud (#Tangping) a surgi, impulsé par Luo Huazhon de la génération Y. Plus qu’un simple phénomène viral des réseaux sociaux, ce mouvement est représentatif d’une réalité sociale et économique de la jeunesse préférant se retirer de la course effrénée à la réussite, à la consommation et aux modèles familiaux normatifs. Le Lying Flat se définit ainsi comme un mouvement philosophique qui revendique de vivre simplement comme Diogène ou Héraclite, loin du stress, de la fatigue et du désespoir, ou bien justement, comme le propose Protagoras, en s’allongeant parce que « l’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas ». Cette révolution silencieuse de contre-culture – qui est censuré depuis par les autorités chinoises – témoigne d’une véritable nécessité de créer, que ce soit en Orient ou en Occident, d’autres récits au sens du monde que celui qu’on nous impose.
La série Antichambres appartient au projet État de Veille.
Texte & Photographies © Isabelle Rozenbaum/ADAGP
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