Combinaisons poïétiques : avers la gestion enqulé d’une quantité discrète

« et tu sais alors seulement que tu t’es tu », dernière phrase d’enqulé où tout ici commence dans déjà le survol, sitôt reçus les deux volumes parus chez Louise Bottu. Enqulé (2022), inutile de dire qui en est l’auteur, or s’il le fallait quand bien même — y obligeraient les règles de la recension —, le nom venant de se dire mais en un ordre des lettres modifié (anagramme s’entend — Quélen, donc, Dominique Quélen). Et antérieurement à ce livre, chez le même éditeur : Avers, 2017.

Alors, un seuil, d’emblée —

S’il sera possible de déambuler d’un livre à l’autre, sachant que deux attendent encore de parvenir, quatre parvis [« N. m. Espace dégagé réservé aux piétons, dans un ensemble urbain »]. Le nom de déambulation sans doute un peu lâche — est-il à dire urbain ? — s’agissant de qualifier la lecture ici. Il n’empêche. Citant jusqu’au désordre de parution venant dérégler toute chronologie ; telle feuille volante faite des premières notes pour l’article, notes et impressions s’il faut tout dévoiler d’un geste de ces dernières : célérité, phrases brèves contribuant à la célérité, non dénuée de profondeurs éparses à dire,

Enclin à ne pas lire — trois syllabes plutôt que deux —, enqulé, mais

à ne pas écrire, si seulement cela s’impose, Enculé — ce mot qu’on aurait pu croire ininscriptible ; qui, on ? « On dit que tu dis on ». (Avers).

Mais tel n’est pas le titre, observation tardive, enqulé, mais intégralement quélen = enqulé [

Incroyable — le petit texte en manière de prologue à quélen = enqulé. Celui succédant, deux mots auront suffi pour le dire reprise* d’un texte antérieur d’années [Gare maritime 2008], réactivant la mémoire. Ces mots, étrange — ou pas — qu’ils aient marqué : « belle pépée », en voici l’entour : « Et c’est l’entrée en scène d’Ève — belle pépée, svelte (elle en jette !), gente femme et bête de sexe — près de cette espèce d’éphèbe benêt et empesé : »

* L’astérisque : quant à la reprise — ce qui vient :

En message privé, D. Quélen — précision d’importance particulière : « (Mais les trois volumes Basses contraintes – Avers – Revers ne sont d’une certaine manière qu’un seul livre à chaque fois réécrit : n’importe lequel des trois présente la même forme, la même structure, et des tex—tes très proches.) ». La parenthèse en est tout sauf une, ayant trait donc à la retouche, selon quoi — ici — se donnent à entrevoir les différents états d’un texte — différences fussent-elles infimes voire indiscernables à première vue — et imprimés comme états donc figurant en l’état. Une lecture précise attendue (se peut-elle ici, ne disposant pas de l’ensemble des livres de l’auteur ?) pour dire le détail de telle variante apparue, telle autre, ce qui se modifie sans rien annuler des versions antérieures.

Enqulé : autre séquence, titrée « J’entre », et scène d’une entrée du corps en lui-même, il n’y a personne ici que ce corps et l’expérience (est-elle à dire intime ? à ébruiter dans seulement les Lettres), qu’il s’échine à réaliser, qu’il réalise : « J’entre dans ma bouche puis dans mes oreilles ». — H. Michaux de son côté, in Magie : « Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité ! ». Mais le parallèle n’opère à vrai dire qu’un temps, qu’à peine : « J’entre » de moins de tranquillité, à savoir plus torturé (ne sachant rien ici de s’il faut [sic] ou non à ce mot des guillemets : pour déjà la distanciation de rigueur, le torturé serait seul effet, propre à rappeler qu’il y a violences éparses à même l’écorce, dont il importe de rendre compte). À titre d’aperçu : « J’expose en y mettant les bras jusqu’au coude un endroit brûlé de mon épaule où la peau se déchire », p. 47. Cela venant susciter peut-être, telles torsions, éparsement un rire, d’aller si loin — c’est à noter. La séquence se replie sur « Je plie et déplie ma langue à volonté. » Et telle autre de s’ensuivre, titrée Tu te tais semblant être la reprise de la séquence initiale, sur elle se refermera le volume. Retourner vers

Avers, s’y arrêter, même — aux phrases étranges, d’une certaine folie où se disloque, reconnaissable en cela, jusqu’à la grammaire (trait littéraire retors en cela qu’il saurait plus qu’esthétiquement y conduire), confer tel fragment où tout saurait être cité — encore qu’à le vouloir, il soit préférable de se procurer le volume ; de « Un oiseau et un oiseau ont chu. » ouvrant le fragment, p. 23, à « De n’être en train de crever qu’en réalité n’était rien ». [même page], s’il est possible d’isoler disloquée donc la phrase,

La lecture à l’endroit d’Avers se fait chercheuse (une structure y fait défaut, et voici qu’il est trop tard pour celle-ci, n’aura lieu que le seul agencement des notes, de mobile qu’il serait encore jusqu’à la permutation arrêtée, comme durcie), à l’occasion de lire et crayonnant lisant. La particularité : l’écriture — regardée comme telle s’il y a lieu, que ce soit sous d’autres noms, dont celui de description : « Je décris et ne décris pas. […] Le noyau de mon langage a l’air en carton-pâte » — y est serrée, presque s’imposerait une lecture à la loupe, avec attention autrement dit pour le détail, rendant compte de ce qu’il se passe s’il est possible (et « Il se peut. Il se peut »). Beckett peut n’être pas loin, ça-et-là l’égale épaisseur, où se remanie ou discute le fail better [et à noter en passant, l’usage fait de l’impersonnel, sans qu’il en résulte qu’il n’y ait personne, cela est dit pourtant, petit paradoxe de l’on, qu’il soit ou non — selon — substitut de je* parlant] : « On pensait réussir et on a échoué. On a échoué. On espérait perdre mieux que ça. Ou guère mieux. Qui en espérait quoi ? Rien. On = zéro. Nul. Et donc on pensait gagner ce qu’on perdait. Ce qu’on perdrait. Ce qui ne perd pas est ce où s’est perdu ce qui n’a plus de sens ».

L’astérisque : « On sait que tu aimes ne jamais dire on ».

Note, dernière hélas quant à Enqulé : La différence entre le dé mallarméen et la bille quélénienne (l’un ayant fait date ; l’autre — prendre date : disséminée, tant d’occurrences, comme l’objet même, cf. Tu te tais) : la bille n’a pas d’apparition cachée, espérée dans le jeu — intéressent tout au plus son parcours voire sa position d’arrêt, la bille qu’elle aura percutée dans le rêve (trouvée sublime), rêve de la pouvoir empocher s’entend ; échec ou réussite, une autre bille semble pouvoir être lancée, il y aurait réserve encore, à supposer qu’y seront cette fois les circonstances, plus immédiates qu’éternelles — or il s’écrit, dans l’écrit étendu et détaillé d’une scène et scène d’enfances, qu’il en serait des faces, ou le cas de billes spéciales, et peut-être le sont-elles toutes : « Sur une face est tombée la bille qui tombe à chaque fois sur l’autre face. Tu la fais tomber sur deux faces à la fois cette fois-ci sur toutes les faces. Cette bille est de tous les côtés pareille de la même couleur qui change […

Reçu il n’y a pas une heure : La Gestion des espaces communs (Lanskine, 2019), troisième des quatre livres de la recension, recension dont il serait à redouter la longueur, mais trop tard pour écourter. Ne manque plus, donc, qu’Une quantité discrète (Rehauts, 2022). La Gestion, donc. [Lecture]. S’agit-il de s’expliquer ce qui ici a lieu, préalable de donner à comprendre, si d’aventure la plongée — l’aventure — s’avérait ardue, tout au plus peut-elle sembler l’être : non qu’illisible, elle ne l’est en rien, ni même dénuée de cet imagé dans le discours (certains diraient : prose poétique), dispensé en autant de prises jalonnant le volume : « Les animaux de tailles diverses. Leur cri et pourquoi. Certains considérables. Les parties du discours infiniment petites, nombreuses. Classer les objets en ceux qui se font insensiblement et ceux qui se font par à-coups ou paliers ». In extenso ce qui suit, et à peine plus loin — ce sont encore les pages d’introduction : « Ça reste un peu théorique ? Oui. Culture d’entreprise, politique de résultats, terre brûlée : c’est une représentation. Nous sommes cités avec ces mots. Décision est prise de qualifier et quantifier chaque chose, l’une après l’autre, ce comportement devant correspondre à un ordre donné ou simplement l’idée d’un ordre. Voilà une équipée qui commence avec du combustible ». Le combustible qu’il faut pour alimenter jusqu’à ce qui est dit être le presque mort, à entrevoir comme le lot de l’écrit dans tous ses états : « Le début commence à se périmer ou non. Ici, dans la langue, tu ne trouveras aucun objet qui ne soit presque mort ». La sentence est dure, quoique s’y localise une chance, presque, et dans le presque même, à savoir d’un possible encore. Quelle écriture pensable, sinon, jusqu’à ce volume même La Gestion ?

Lecture. Qui ne pourra tout dire de ce qu’elle lit une première fois, et nous voici loin déjà dans le volume, ayant traversé La forêt — L’eau — Le champ, séquence aux annotations marginales, d’une pointe de crayon à papier — effaçables donc — constituant la vie de la lecture. Or tombe-t-elle à son tour (ce qu’elle ne saurait pas encore) sous le coup, la coupe, du presque mort ? — Personnification presque. Il y a cette phrase, qui semble lire son lecteur, lecture de la lecture, le lecteur en tout cas qu’il y a ici, qui annote, non qu’un piège lui soit tendu (et consistant à ne pouvoir plus rendre compte de ce qui a lieu, il en résulterait dès lors le silence) : « Débordés par ce que nous avons à dire, nous nous taisons, disons-nous. Pas de phrase, rien ». Plus loin, dans Le récit, et attendu que le livre ne s’achève pas sur cette phrase, cette autre phrase : « Rien qu’en avançant une idée après l’autre, cela fait venir un discours qui nous est destiné [ndlr : écriture de la lecture, ici] ou simplement adressé. Mais nous nous demandons quel est ce nous« .

Lecture. Une page restante de La Gestion, pourquoi n’est-elle pas lue sur l’instant ? Quoi pour retenir ? Il s’agirait de s’en réserver le bonheur. Et lue (car impossible de ne pas), d’enregistrer à même les bandes intérieures jusqu’à la dernière des phrases : ce qu’elle dit — contenant ce qui la précède, s’en éclairant le temps de l’éclair — est cela dont y a appel ici à lire, afin que circule le volume, nécessaire à ce qui a nom de littérature au titre de ce qu’il y ajoute. Arrive le quatrième, attendu depuis des semaines, Une quantité discrète avec dédicace elle-même discrète sur feuille volante, introduite parmi les pages — lecture. Et lecture lente, séquence après séquence, 7 parties d’écriture serrée et aventure une fois encore dans la langue et ses possibles. La troisième où une halte a lieu, se marque en exergue d’une touche comme oulipienne : « Ici tu as 861 signes » à supposer qu’il s’agissait, d’avance, de s’y limiter ; de même que la première comporte l’indication « Sonnets faciles » (ce qui se donne à vérifier, déjà : quant à la facilité s’il y a quoi que ce soit de tel ; vérifier ensuite qu’il s’agit peut-être d’autre chose que de sonnets, et ici le lecteur semble appelé à en décider, si seulement on le sonne : qu’est-ce qu’un sonnet, sa forme n’en était-elle pas renouvelable, risquant le méconnaissable, ainsi qu’il apparaît ici ?) ; la cinquième partie quant à elle est titrée mathématiquement 2 x 123 et l’exergue est — de Frédéric Forte : « c’est incroyable tout ce qu’on peut faire entrer dans un poème » ; la quatrième, titrée Abandon débit avec exergue de Liliane Giraudon : « Je me dis que je suis un « manœuvre ». Que ce travail d’écriture est une simple réparation d’objet […] ». Pour aperçu d’un contexte figurant dans le texte,

Sur tel morceau de papier des impressions primitives quant à Une quantité, elles importeraient tardivement (archive) : Il se peut cette fois qu’il faille à la lecture le temps long, quoique impossible ici — d’avance l’échec —, non qu’elle ait été hâtée jusqu’alors, il s’agit qu’elle ne le soit nulle part, et ne rien défigurer de ce qui vient à faire face, effet d’inévidence (« Un poème difficile d’accès mène ailleurs, aérien ».), étant entendu que l’espace ici de lire n’est pas illimité, qu’il importe d’orienter la limite obligée,

Lecture. Volume aux séquences brèves mais de densités particulières (chaque fois l’apparition d’un monde), unetelle appellerait un écrit étendu — plus étendu même que ne l’est l’actuelle recension —, telle autre, le silence, de n’avoir été traversée suffisamment encore, livre à placer à même la table de chevet où il y a déjà le crayon à papier, venant d’y souligner le nom inconnu ici de phorésie. Il se passe, voici qu’il se passe en cette heure la lecture désordonnée de séquences que rien ne proscrit, il y a cette belle séquence où devait acheminer semble-t-il la lecture (préméditation), séquence qu’il faudrait citer toute, venant clarifier dans le rêve au sujet de la poésie et de la propension naïvement à la définir, et cela comme afin, d’avance, que l’on s’y casse les dents. L’assertion est à tout le moins étrange, d’une ironie tonale dépassant les bornes : « Un point d’abord sur la poésie. Cette science étudie tout ce qui fait langage dans ta bouche à commencer par la perte de tes dents. Te sert à t’exprimer dans des vêtements pour ainsi dire un costume de locuteur ». Définition quoiqu’il s’en dira, telle qu’il n’y avait peut-être qu’elle, et telle quelle, à savoir d’étrangeté telle — impossible —, de possible, mais un instant,

Plus loin, sans cependant avoir gardé à l’esprit le milieu de la phrase, ses parages si l’on préfère, celui-ci est perdu jusqu’à nouvel ordre : « Pour finir on doit abandonner à temps ». La lecture ne s’arrête pas sur cette brusque extraction, peut-être même commence-t-elle, alors que doit finir la recension (rétrospectivement de seules notes se succédant, or elles importent, comme telles, en l’appel qu’elles lancent partout, qu’aient lieu d’autres lectures, c’est le prendre date évoqué déjà écrivant sur ces quatre volumes,

« Là-dessus, mourir. La mort. Un plaisir à être en silence, sans rien. Un pelage qui se teinte. L’air du matin et le miroir de la création ». la parenthèse ne se referme pas).

Texte © Denis Ferdinande – Illustrations © DR
Combinaisons poïétiques est un workshop d’analyse poïétique in progress de Denis Ferdinande.
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