Dune (2021), qui, sur sa première heure et demi, nous a vraiment embarqué. Pourtant, on était d’abord peu convaincu par tout l’aspect fantaisie de l’univers, propre à Game of Thrones, avec les différentes familles, les rivalités, les jeux de pouvoir, etc. De la même façon, le rythme extrêmement lent avait, en quelques occasions, tendance à nous fatiguer. Mais dans l’ensemble, Villeneuve faisait du Villeneuve, beau comme du Arrival, hypnotique comme du Blade Runner 2049. Même Timothée Chalamet, auquel au début on ne croyait pas – trop frêle pour porter la puissance d’un récit initiatique – finissait à prendre physiquement pied dans le film, grâce à ces beaux plans de contemplation où Villeneuve fixait la jeunesse de son corps dans la réalité des décors (face à l’eau des cascades, sur les sables des dunes). Quand Chalamet observait les vaisseaux de sa famille quitter sa planète, nous devenions lui. Quand Chalamet posait son pied sur le sable de la planète des Fremen, et touchait le sable entre ses doigts, Chalamet devenait nous. Et, surtout, quand retentissait la séquence du premier affrontement avec le ver, quand la station d’épice est attaquée, on se disait qu’on a là, face à nous, un film puissant, d’une ambition qu’on n’avait pas vu depuis The Dark Knight Rises. Même longueur, même richesse du panorama, même parcours du héros.
Malheureusement, Villeneuve commet une erreur quand se termine son deuxième acte, avec la mort du père. Car Dune ne devient plus un film, mais comme le générique de début l’annonçait pourtant, une partie de film. Où Lynch rythmait son récit de sorte à ce que les deux actes chez Villeneuve ne tiennent qu’en un seul (la mort du père n’arrivant pas au bout d’une heure et demi, mais au bout de trois quart d’heure), où Lynch, donc, respectait les codes de Joseph Campbell en faisant de son deuxième acte, l’enfoncée dans l’étrangeté du désert et des Fremen (c’est-à-dire la descente dans le ventre de la baleine), avant de faire revenir son héros dans le troisième acte pour combattre les méchants et chevaucher le ver, le tout dans un récit clôt et logique, Villeneuve a tellement étiré son premier acte, a tellement pris son temps, qu’il n’a plus la possibilité de traiter du retour du héros et de son combat. Son dernier acte devient donc ce qui est habituellement un deuxième acte : une phase de rétention. Et le film se termine sur cela : sur une phase de rétention. Phase d’autant plus décevante, qu’elle est étirée outrageusement (l’accident du vaisseau avec la mère, le sacrifice de Jason Momoa, etc.) et que le spectateur, en plus, attend le troisième acte. Dans l’inconscient collectif, le Dune de Lynch est présent : on s’attend à ce que, derrière toutes ses épreuves, le héros revienne et chevauche le ver de sable pour combattre le baron Harkonnen. On attend la revanche. L’accomplissement. Mais non. À trop prendre son temps, Villeneuve perd la possibilité de raconter un film clôt. Il le termine par un vulgaire « ce n’est que le début », dans la digne lignée de ces films-séries, à la Harry Potter ou Twilight, à savoir tous ces livres découpés en parties pour en tirer le plus de fric possible. Énorme désillusion donc, où le soufflé retombe totalement.
D’autant que, il faut le dire, quand bien même Villeneuve aurait pu rajouter à son film un troisième acte, quand bien même, il aurait pu faire de Dune un film clôt de 3 heures 30, à la fois long et total : on retrouve ici son même défaut que dans ses autres films, et particulièrement justement dans Arrival. À savoir une incapacité au crescendo esthétique. On est fasciné visuellement pendant une heure. Puis, Villeneuve ne parvient plus à se réinventer, à faire naître un autre film à l’intérieur du film, à créer un mouvement qui décuple l’imaginaire (contrairement, par exemple, au toujours sidérant The Neon Demon). On reste là, bloqué dans ce désert que Villeneuve filme sans aucune imagination, si ce n’est avec la pseudo originalité de ne pas jaunifier le sable, mais de le capturer dans sa noirceur morne et ennuyeuse. Quel dommage ! En espérant que la deuxième partie soit produite, et qu’en visionnant les deux films, l’un après l’autre, une unité et une cohésion, au bout du compte, soit finalement trouvée.
Note : 2/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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