Face au Spectacle : Le Dernier Duel

Le Dernier Duel (2021), dont le contexte (une histoire de tromperie au Moyen-Âge), l’image (terne et grise) et surtout la longueur (plus de 2 heures et demi), pouvaient faire peur. Et pourtant, exactement d’ailleurs comme le promettait la bande-annonce, le film est en réalité très stimulant. D’abord, parce qu’il s’appuie sur ce principe narratif à la Rashomon de raconter la même histoire selon plusieurs points de vue, et cela a toujours le don, paradoxalement, de relancer le récit, de nous y enfoncer, non pas sur une horizontalité qui nous essoufflerait, mais dans la verticalité, où l’on y trouve de la profondeur.

Aussi, le film passe très vite, exactement comme les épisodes de The Affair, qui semblaient toujours durer deux fois moins longtemps qu’ils ne l’étaient en réalité. Et évidemment, l’autre façon très ingénieuse qu’a Ridley Scott de rendre cette histoire vieillotte présente et stimulante, c’est évidemment dans son casting. Car le film, très clairement, est non seulement ultra-contemporain et évoque frontalement me too, mais c’est surtout un film de Hollywood sur lui-même. Car on sait que Matt Damon a laissé plusieurs fois son ami Harvey Weinstein tripoter ses petites copines sans jamais le dénoncer ; on sait que Ben Affleck a couvert Weinstein ; mieux, encore, on sait que Adam Driver a directement été accusé d’agression sexuelle. Et les voici tous les trois, littéralement dans leur propre rôle, de façon parfois presque dérangeante, notamment lors de la séquence du viol. Aussi, les défauts apparents du film (manque de réalisme, utilisation perpétuelle d’un anglais assez moderne dans une France médiévale, etc.) ne sont qu’une façon pour Scott d’assumer pleinement sa décision d’aborder me too de façon détournée.

Hollywood se filme, et mieux encore, Hollywood se vomit, car tout est assez pathétique dans cette histoire, entre ce mari s’imaginant héros, dénonciateur des violences faites aux femmes, mais qui n’est qu’un bouffon hypocrite, et cet agresseur soi-disant lettré et romantique, et qui se cache derrière un amour de la femme et de la drague pour agresser. Et le pinacle de tout cela est l’ultime duel, franchement beau parce qu’on n’avait jamais vu, à l’écran, cette idée d’un duel sans héros. Ce n’est plus même qu’on les comprend tous les deux, même si d’une certaine façon, on les comprend aussi tous les deux : mais c’est plutôt qu’ils ne semblent qu’une incarnation abstraite, aléatoire, du vouloir.

Chacun, dans des circonstances différentes, aurait pu être l’autre. Ils ne luttent que pour sauver la face. On ne regrettera toutefois une chose : la partie sur Lady Marguerite, dont Scott semble nous dire, au vu du panneau introducteur, que celle-ci est la vérité vraie. C’est une idiotie absolue, qui contredit tout le principe du film, et nous pousse à nous demander l’intérêt dans ce cas des deux précédentes parties. On sent là, chez Scott, la volonté de préserver la femme de ce jeu de dupe, de l’élever au-dessus de la dégueulasserie de l’honneur, mais ce faisant, il la rabaisse au rang de fée factice. Comme si le fait d’être une victime permettait de hausser une existence individuelle au rang de vérité générale : c’est une arnaque philosophique. Pour notre part, on ignorera donc complètement ce panneau (on pourra d’ailleurs se demander si Scott en est vraiment le responsable), pour continuer à partir du principe que le point de vue de Marguerite n’est qu’un point de vue.

Au-delà, aussi, d’un manque certain de profondeur, d’incarnation, de tripes, comme souvent chez Scott, qui préfère livrer un produit bien fini, équilibré, qui ne va ni trop loin ni pas assez, The Last Duel reste un fort bon film. On aimera beaucoup Ben Affleck dans le rôle de ce décadent blondinet, et sa prestation est d’autant plus à souligner qu’il n’est pas anodin que lui et Damon sont les scénaristes et producteurs du film, signe que c’est là un film avant tout sur eux, sur leur rapport à Weinstein, et sans faire injure à Scott, l’on pourra même penser que ce sont eux, les véritables auteurs du film. Ils se paient le luxe par ailleurs d’écrire une sacrée réplique : « On pardonne à l’enfant qui a peur du noir. La tragédie, c’est l’homme qui a peur de la lumière ».

Note : 2,25/5.

Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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