The Neon Demon (2016), chef-d’œuvre visuel, que malgré notre rejet alors de Nicolas Winding Refn, nous avons bien fait de voir au cinéma. Et par chef-d’œuvre visuel, on n’entend pas ces films qui nous frappent de par leur esthétique lors des vingt premières minutes, puis à laquelle progressivement on s’habitue, à laquelle l’on s’adapte et l’on s’intègre ; non, nous parlons d’un chef-d’œuvre visuel qui nous secoue à peu près perpétuellement.
Débarrassé de cette pose vintage mêlée de sensiblerie romantique qui empestait dans l’atroce Drive, Nicolas Winding Refn continue ce qu’il avait entamé avec Only God Forgives, à savoir un traitement fou de la forme au point que ce ne soit plus qu’à travers celle-ci que vienne apparaître le fond. The Neon Demon est donc un film de Winding Refn sur Winding Refn ; un film sur les apparences et sur la vacuité, un film qui filme la mode en faisant de la mode, qui se dénonce lui-même, qui se met en abyme et se vomit dans une spirale esthétique dingue ; Winding Refn, au bout d’une filmographie passablement indigente, finit enfin par dire quelque chose, et comme n’importe quel artiste qui parvient à devenir auteur, il le fait en admettant ce qu’il ne sait pas faire, en entremêlant ses carences acceptées au cœur de ses qualités (c’est un peu, pour ces raisons, son Inception).
Comment alors ne pas voir dans l’affichage de son nom, au début du film, résumé singulièrement à ses initiales – N.W.R. – stylisées en rose comme s’il s’agissait d’un créateur de mode, une réduction de sa qualité de metteur en scène à cet esthétisme de la mode qu’il va récuser, un aveu, et ce dès les toutes premières secondes, de sa nature d’esthète vain ? Comme si maintenant qu’il s’était accepté dans l’insignifiance et la posture habituelle de son propos, il allait pouvoir ouvertement parler de tout ce qu’il est et tout ce qu’il n’est pas, trouvant par là-même son véritable sujet en tant qu’auteur : le piège du vide derrière la beauté de l’image.
Que dire d’autre si ce n’est que cela faisait depuis très longtemps que l’on avait pas vu une actrice filmée avec autant d’amour et de fascination qu’Elle Fanning (et voilà un point où, enfin, l’élève Winding Refn se montre à la hauteur de son maître évident Lynch) ? Que dire d’autre si ce n’est que l’on est passionné par cette idée, simplement effleurée, du démon qui jaillit dans notre propre reflet, durant un défilé, et que là gît toute la force de The Neon Demon : mélanger le mythe au moderne, filmer tout à travers l’allégorie, la fête comme une succession de gros plans lumineux où l’on regarde happé ce qui n’apparaît jamais (en cela, on pense aussi quelque peu au Phantom of the Paradise de Brian De Palma). Le tout étant d’autant plus profond que le démon ne s’incarne même pas vraiment, et que la plongée de l’héroïne n’est pas représentée cyniquement dans l’ultra-violence ; non, celle-ci reste pure et vierge, au point littéralement de se faire manger.
Et depuis quand, une scène aussi dingue, aussi glaçante, aussi dense en intuitions sensibles, que ce modèle, assis contre un mur bleu turquoise, finissant par vomir, sur une moquette toute aussi turquoise… un œil. Le genre de séquence si forte qu’elle a ancré dans nos souvenirs notre propre posture, penché sur notre siège vers l’écran, complètement abasourdi. Du pur cinéma, et d’autant plus pur, que l’on a envie de le revoir, et même d’y vivre, d’y tomber entièrement.
Note : 4,5/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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