Face au Spectacle : Vox Lux

Vox Lux (2018), beau film qui ne ressemble à rien, construit comme une tragédie flottant au-dessus du monde moderne sans jamais vraiment y appartenir, ne se servant, avec détachement, de notre époque que pour réaliser un mythe intemporel, celui-ci ne prenant vie ici presque que par hasard. Et c’est d’autant plus beau, d’autant plus bon, que le film est, précisément, ce qu’il dit, en cela qu’en effet, on le comprend à la toute fin, dans une révélation murmurée par la voix off, finement, sans grandiloquence, de façon purement littéraire, il s’agit d’un pacte avec le Diable, du mythe de Faust, et le film l’avait si finement développé précédemment que l’on a pas besoin d’en savoir plus, d’en voir plus, pour y croire et l’admettre.

L’héroïne, particulière au point que l’on pouvait parfois douter de la pertinence générale du film, se retrouve dénudée de ses aspérités confondantes et narratives : elle est, en fait, une incarnation. Oui, ce récit qui semblait si singulier – une victime d’une fusillade qui devient une star de la pop – qu’il transpirait l’étrangeté de ces histoires qui ne peuvent être issues que de la vie réelle, justifie cette mise en scène, dès le départ élaborée à partir d’un point de vue abstrait et surélevé. À l’image notamment du début du film, incroyablement choquant, où l’on vit le meurtre de la professeure en empruntant les yeux du tueur, on entre dans ce récit moins via son héroïne finalement – autre victime hasardeuse de la vie – que via la violence et le mal surgissant de façon entropique, ici et maintenant. Le mal est le point de vue.

Et elle est belle, vraiment, cette idée de retracer l’histoire d’une star de la chanson, comme si tout cela n’avait aucune importance, comme si ce personnage avait beau être une star, elle n’était jamais néanmoins vraiment l’héroïne de l’histoire. Le héros de l’histoire, c’est le mal, et Natalie Portman n’entre dans son cadre que par accident : son intrigue à elle est ouvertement représentée comme un chapitre mineur de la vie du Diable. En cela, Vox Lux nous a parfois rappelé le récent A Ghost Story, qui d’une histoire d’amour banale et matérielle, se transformait en une longue errance, l’âme de l’amant traversant les siècles et les siècles… mais davantage, c’est surtout à The Neon Demon que nous avons pensé (la rencontre entre le divin et la culture pop, le milieu de la mode laissant simplement place à celui de la musique), et l’on ne sera pas étonné d’ailleurs de voir que la chanteuse Sia est encore dans le coup. Elle n’est sans doute pas étrangère à l’excellente approche de la pop faite par le film : c’est travaillé, sérieux, réaliste et parfois même franchement bien.

En même temps, il y a une distance, une neutralité, une objectivité face à la valeur de ce qui est réellement proposé qui est très fort. C’est de la musique, ni bonne ni mauvaise, vue par un regard éternel, traversant le temps (A Star is Born était bon également dans ce registre, notamment quand le personnage de Lady Gaga s’oubliait elle-même et devenait une star dansante… Là encore, finalement, on flirtait avec la tentation du Diable et des paillettes, mais le traitement de la pop, assez vulgaire, et en même temps très efficace, déjouait tous les clichés…)

Après, bon, si l’atmosphère et la mise en scène sont excellentes, il faudra aussi reconnaître, parfois, les limites du film, ses longueurs, notamment dans la deuxième partie, quand l’héroïne est devenue mère, et comment finalement on a l’impression que le réalisateur sait qu’il doit conserver sa révélation pour la fin, et ne sachant pas trop comment y arriver, patine un peu en attendant. Le film, à ce moment-là, devient légèrement répétitif et pas assez détaché de ces enjeux qu’il donne à montrer (la drogue, le sexe, les paparazzis, rien de fort original) : il aurait sans doute gagné ou à sous-entendre un peu plus fortement le maléfisme de la chose, ou tout simplement à se faire plus court. Mais quoi qu’il en soit, voilà du cinéma qui s’enfonce là où il faut.

Note : 2,75/5.

Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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