Ce livre est le fruit de plusieurs décennies d’observation suivie et passionnée des aventures, des détours et des déboires de la critique radicale.
Nous avons été particulièrement attentifs à assimiler de façon critique les apports de l’Encyclopédie des nuisances, dont nous avons été, pour certains d’entre nous, assez proches.
Ce faisant, nous avons observé comment la pointe critique situationniste – la théorie du spectacle – avait été progressivement reléguée à l’arrière-plan, au profit notamment de la critique anti-industrielle – comme si l’industrie n’était pas au service du spectaculaire !
La théorie du spectacle est devenue une banalité médiatique désamorcée et pour ainsi dire décorative, un circuit court pour tout dire – en fait un court-circuit pour ne rien dire de la misère essentielle des temps spectaculaires – et alors que les progrès de l’aliénation atteignaient leur intensité maximale.
Il y avait donc, à nos yeux, urgence à réactualiser et raviver la critique situationniste, en faisant le pari, quelles que soient les imperfections de notre travail, que les prochaines contestations sociales y reconnaîtraient leurs légitimités.
Nous avons retenu de Debord que la connaissance d’une contestation radicale et centrale de l’ordre et du désordre existants peut suffire, dans les bonnes circonstances historiques, à décider les plus aptes, qui à leur tour motiveront les autres.
Remède à tout : De la nature exacte de l’aliénation planétaire et de comment y remédier (Quiero, 2024) vise donc à s’inscrire souterrainement dans l’époque ; une sorte de traitement de fond.
Nous l’avons conçu pour qu’il fasse du bien, immédiatement, mais aussi durablement, aux ouvriers bons ou mauvais et aux insurgés de toutes conditions et de tout bord – et du mal à tout ce qui nous empoisonne l’existence.
Après assez peu d’hésitations, nous avons repris un titre qui était projeté par Gianfranco Sanguinetti (dont ne sortira finalement qu’un chapitre, sous le titre « Du terrorisme et de l’État »), qui reprenait lui-même le projet situationniste : « L’I.S. devra se définir tôt ou tard comme thérapeutique » (I.S n° 8). C’est encore et aussi un clin d’œil à La Planète malade, texte rédigé́ par Guy Debord pour le n° 13 – jamais paru – de la revue Internationale situationniste.
Nous avons ainsi surtout repris l’intention situationniste essentielle : guérir la vie, ce qui revient exactement à se guérir du spectacle.
Le Remède se présente donc comme un manuel de désaliénation : comment s’évader des comptabilités, de l’emprise du temps en particulier, comment voyager jusqu’à sa singularité, comment se défaire radicalement de toute valeur, etc.
À propos de singularité, celle de ce livre justement, est de ressaisir précisément le mal social et individuel à la racine ; d’établir à nouveaux frais la genèse ontologique de la séparation achevée énoncée par Debord :
L’origine du spectacle est la perte de l’unité du monde, et l’expansion gigantesque du spectacle moderne exprime la totalité de cette perte.
Ce qui le distingue par contre de l’héritage situationniste, c’est d’une part l’absence d’éristique ; pas de polémiques ni d’invectives envers les autres courants critiques, postures qui avaient sans doute parfois leur intérêt du temps de l’I.S, mais que nous trouvons généralement vaines et souvent désastreuses ; d’autre part, contrairement aux situationnistes, notre rapport au temps – auquel nous consacrons un chapitre -, ne consiste pas à vivre « sans temps mort », mais plutôt hors du temps. La « sensation de l’écoulement du temps » a toujours été pour nous très vide.
Un dernier point qui distingue le Remède, mis à part tout ce que nous devons aux situationnistes et mis à part le fait que nos moyens et nos talents sont sans doute beaucoup plus modestes, c’est d’apporter, pensons-nous, une clarification radicale à la fameuse et quelque peu obscure question de la « valeur ».
C’est quelque chose qui ressortira progressivement, à travers l’inscription historique de l’ouvrage et l’attention fine des lectrices et des lecteurs. Pour cela nous avons eu recours, outre une relecture situationniste de Marx, à Nietzsche, Jean-Pierre Voyer ou encore Jean-Luc Nancy, auteurs qui, chacun à sa manière, ouvrent à une compréhension antiéconomique de la valeur.
Là où, en revanche, nous restons dans la stricte obédience de l’esprit situationniste, c’est dans l’usage attentif du détournement – auquel le présent texte ne fait pas exception – et dans la création de situations, dont ce livre est porteur, moyennant encore une fois sa patiente inscription historique.
Pour finir, le Remède est agrémenté de quelques illustrations publicitaires, dont la confrontation au texte révèle assez la spectralité spectaculaire.
Ce monde est peuplé de fantômes s’adressant à leurs ombres, que sont les humains devenus.
Note de l’éditeur
La forme du livre « papier » dont nous assurons tout ou partie de l’impression ou du façonnage nous semble politiquement nécessaire car elle s’oppose en acte à la profusion des images et à la circulation des idées sur les supports virtuels. La très faible circulation de nos livres passe encore par les sens communs du toucher, de l’amitié, du hasard et de la discussion. Il existe en France des milliers de petites boutiques qui échappent aux tentacules de l’empire Bolloré, aux grands groupes économiques et aux flux tendu de la marchandise… En proposant ce livre dans près d’une centaine de librairies soigneusement choisies par notre diffuseur et en l’inscrivant pour quelques années au catalogue de nos éditions nous laissons aux lectrices et aux lecteurs le temps de faire par eux-mêmes le premier pas vers ce Remède…
Texte © Observatoire situationniste – Illustrations © DR
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