Jusque récemment, je voyais la controverse de l’écriture inclusive comme une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes : les partisans de la table rase dans la grammaire française s’arrogeant d’eux-mêmes la place des « Modernes », hum…
C’était me tromper du tout au tout. Cette bataille idéologique s’il en est, se révèle être en fait un nouveau cheval de Troie de la discorde, qui permet une fois de plus de diviser la Nation, afin de mieux régner « en haut », et sans même que les principaux intéressés ne semblent s’en rendre compte. Dans La Zizanie, Jules César envoie un messager qui a le don inouï de semer la zizanie partout où il passe : Tullius Détritus. Et les jalousies, commérages, rumeurs, querelles et altercations en tous genres se mettent à fleurir alors que, jusque-là, une certaine concorde régnait dans le village des « Irréductibles ».
La langue française, jusqu’à présent, était le résultat d’évolutions très lentes et continues, avec des apports étrangers successifs (principalement du latin et des différentes langues latines, du grec, de l’arabe, de l’allemand, des langues anglo-saxonnes, puis récemment de l’anglais). Et sous on ne sait trop quelle impulsion (contre quelques millénaires de patriarcat ?), certains se sont pris de tout renverser, tout bousculer, toutes les règles grammaticales issues de cinq siècles de langue française moderne. Ce serait LA table rase : nous allions séparer les femmes des hommes par un point médian : auteur·rices. À gauche (du Père), les mâles. À droite, les femelles. Comme dans l’Évangile selon saint Matthieu (25.31-33) ? :
Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. / Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
C’était oublier que, selon le Littré, « diviser » c’est séparer les parties d’un tout (la communauté, la Nation) ; et que c’est le diable (du latin diabolus, le diable calomniateur) qui divise. En grec ancien, διά, ou dia, signifie « en divisant », ou « en traversant ». Où l’on voit que cette écriture dite « inclusive » – tout à fait incompréhensible en soi : qui n’était pas inclus dans les anciennes règles grammaticales ?… Qui ? – est avant tout une opération diabolique : littéralement, « qui vient du diable » [1]. Mais il y a plus : comment lisez-vous, par exemple dans une intervention publique, « auteur·rice·s » ? Que faut-il choisir ? Droite : le Bien. Gauche : le Mal/mâle ?
Le français écrit deviendrait donc une langue distincte du français oral (ou oralisé) ? Les gardien·n·e·s de la langue écrite, nouveaux·velle·s prêtres·se·s, du côté du Bien ? Et les scribes ? En hébreu, on le sait, on n’écrit que les consonnes, et ensuite on vocalise à l’oral, en rajoutant l’équivalent d’un « a » ou d’un « e ». Par exemple, דָּבָר (dbr), vocalisé à l’oral avec des « a » devient dabar, la « parole », quand deber signifie la « peste ». La langue écrite en hébreu retranche (comme la circoncision ?), quand la langue orale ajoute. Inutile d’insister sur le nom du Père dans le judaïsme…
En langue inclusive, cela semble être l’inverse. On rajoute un point (une queue ?), pour s’y mettre à droite. En hébreu inclusif, devrait on écrire da·eba·er pour inclure la peste à la parole ? N’oublie-t-on personne ? Et de nouvelles querelles d’arriver, à la manière du masque et des vaccins contre le Covid-19 (mais surtout contre le secret médical, qui aurait dû toujours rester la norme), puis du réchauffement climatique : les progressistes, à droite toute ! Les conservateurs, à gauche (du point). Et la lune ? Comment doit-on l’écrire : Lun·e ? Est-ce normal qu’elle ne soit qu’au féminin ? Et la guerre, substantif féminin ? « Iel » allait bon train serait un peu plus égal ou équitable… Quelle régression que cette guerre des sexes étalée pleine page et pleine de points noirs (et non plus de lettres volées).
Black Noise…
Bien plus intéressante et stimulante est une écriture neutre, où l’on ne sait pas si le personnage mis en scène est un homme ou une femme. Ainsi chez l’américaine Ursula K. Le Guin dont le chef-d’oeuvre, La Main gauche de la nuit, met en scène un monde où il n’y a ni hommes ni femmes, seulement des êtres humains hermaphrodites qui, selon les circonstances, adoptent les caractères de l’un ou de l’autre sexe. De même, Caroline Hoctan – dont le prochain roman, La Fabrication du Réel, paraît début 2025 – propulse dans l’ensemble de ses fictions un « Je » dont l’identité n’est jamais précisée ni détectable par le lecteur chez qui s’ensuit un véritable trouble. On remarque que chez Roland Barthes, tout comme chez Nathalie Sarraute, le Neutre vise précisément à la suspension des données conflictuelles du discours.
Considérons les forces en action : les tenants forcenés de l’écriture inclusive, combien de divisions ? D’un côté, on remarque surtout les tribunes « progressistes » (c’est-à-dire pour lesquelles tout changement dans les normes est forcément « bien ») : Mediapart au premier chef, avec une intervention en 2021 carrément titrée En finir avec l’écriture exclusive (sic), Les Inrockuptibles que cette moralisation inclusive ne semble guère offusquer malgré leurs revendications d’impertinence, d’indépendance et de désinvolture, mais aussi – et bien malheureusement – les universités : à la source même de l’idéologie.
L’attaque est frontale : il faut démasculiniser (sous-entendre : castrer) la langue. Rien sur le Neutre… De l’autre côté, on trouve non pas seulement les « amoureux » de la langue, mais ces mousquetaires (dont je fais partie). C’est en effet avec conviction, création et distinction que nous jouons de ses complications extrêmes, de son jésuitisme, de ses règles parfois absurdes, mais si belles, de sa rigueur. Ces mousquetaires considérés comme des conservateurs, voire des réactionnaires (par supposée peur du changement, etc.).
Le problème est que ces tribunes – sur tous les sujets chauds du moment (médecine, géopolitique, climatologie) – ne se sont pas montrées très perspicaces, commettant nombre d’analyses confuses, voire apportant nombre d’informations erronées, sur tous ces sujets. Et bien sûr, sans jamais se remettre en cause ou faire amende honorable. Cela n’augure donc rien de bon quant à leur vision de la langue ! Or, quoi de plus important qu’une langue commune pour une Nation ? Voyez l’état de l’Ukraine. On a touché – non pas au vers – mais à la langue elle-même ! Vous n’écrirez plus les fables de La Fontaine qu’en écriture mitée ! : Olivier Rachet s’y essaie, à titre satirique, dans L’Écriture exclusive (Tinbad, 2024), et son propos vaut le détour.
Depuis l’accession d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, nous avons vu dix fois la Nation française se scinder en deux (sur les retraites, la pandémie, la guerre en Ukraine, la situation au Moyen-Orient, le climat, l’énergie, etc.), comme rarement auparavant. Que d’amitiés brisées avec la crise du Covid-19 ! Même au sein des familles. Ce personnage diviseur alla même jusqu’à désigner une catégorie de la population comme « sous-citoyens » (les non-vaccinés), leur retirant certains de leurs droits fondamentaux, comme celui d’aller et venir librement. Pour conclure, je ne peux donc m’empêcher de composer cette épigramme – détournée de Nietzsche – à son adresse :
Macron est-il un être humain ?
Il rend malade tout ce qu’il touche,– il a rendu la France malade.
Macron est une névrose.
Macron, avec son extrême-centre, est la ruine de la politique, cet art du vivre ensemble.
Assez ! Assez ! Qu’un nouveau Napoléon nous libère de ce maître-diviseur ! [2]
Texte © Guillaume Basquin – Illustration © DR
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[1] On ne saurait que trop conseiller la lecture des textes de 1797 de Joseph de Maistre sur la Révolution française et son côté satanique.
[2] J’utilise sciemment le nom de Napoléon Bonaparte pour rappeler ici que seul, il rétablit le calendrier grégorien le 1er janvier 1806, après l’affreuse parenthèse du calendrier révolutionnaire avec ses noms de mois et de jours ridicules : prairial, floréal, fructidor ; mais aussi tomate, faucille ou chien, pour remplacer les saints dans les cases des jours d’un calendrier quasi soviétique avant l’heure…