À la rencontre de Paula

On ne sait jamais qui c’est. Elle s’appelle Paula. On l’a confond souvent avec d’autres. D’elle, on connaît surtout des images. On nous répond ainsi : « Moi, c’est Isa », et encore « Moi, c’est Léa », ou encore « Non, je m’appelle Emma », ou alors « Béa, enchantée ». On devrait pourtant la reconnaître par ses images. Des images étranges et belles, toujours improbables, parfois tristes aussi, et nostalgiques. Mais également décalées. Sans doute ratées. On aime s’en approcher. On finit par s’en éloigner. On est toujours perdu. On se dit que Paula l’est aussi. Et on s’exclame alors qu’on la croise enfin : « Qu’est-ce que tu fous ici ? ». Elle répond : « Je ne sais pas, on m’a invitée ». Elle regarde le mur devant elle, perplexe, et dit : « J’aime l’instantanéité. De plus en plus. Je me souviens rarement des choses. Je me souviens plutôt de l’instant présent que du souvenir. Plutôt du moment que du lieu. J’attends de voir ». On demande : « Qu’est-ce que tu attends de voir ? ». Elle répond : « Ce qui va sortir. Ça m’excite et en même temps, ça me fait peur. J’aime bien ce moment ». On s’interroge : « Tu attends souvent? ». Elle confirme : « Toujours. Mais avant, je ne savais pas que j’attendais parce que ça faisait partie de l’acte. Maintenant, j’y pense sans cesse. Je fais ça juste pour ce moment-là, ce moment d’attente avant que ça sorte et que je découvre ce que c’est ». Là, on pense qu’elle se moque de nous, et on s’impatiente : « Et qu’est-ce que c’est ? ». Elle nous regarde étonnée : « Justement, ça ! Ce qui sort. C’est notre désir en fait. Le reste, on s’en balance. On attend que ça sorte, que notre désir arrive, le reste on ne le voit pas. Si c’est raté, on s’en fout vraiment parce qu’on ne cherche à voir que notre désir, et l’image n’a plus d’importance même si on la conserve comme un trésor ». On est indécis : « Tu crois vraiment ? ». Elle assure : « Oui, d’ailleurs, on le sent en le faisant. Quand je tiens l’appareil entre mes mains, j’oublie où je suis et pourquoi. Je suis là, c’est tout. Ce peut être intéressant ou pas, beau ou non, original ou banal, je n’y pense même pas. Je ne pense qu’au moment où je vais appuyer et j’ai des palpitations ». On demande : « Des palpitations ? ». Elle confirme : « Oui, toujours. À cause de la peur qui m’excite et de cette excitation qui me fait peur. C’est parce que j’ai peur, et suis excitée, que je peux appuyer. J’ai peur à cause du gâchis, de la rareté de ce que c’est, j’ai peur de tout gâcher, d’appuyer pour rien, et de ne plus en avoir pour continuer. Je suis excitée pour la même raison, parce qu’en appuyant, j’ai l’impression d’avoir un pouvoir incroyable, de pouvoir faire quelque chose que personne ne peut imaginer, quelque chose d’unique et de merveilleux ». On l’interroge encore : « Tu déclenches au moment de cette peur ? ». Elle répond : « Oui, c’est ce moment-là qui compte, qui m’excite complètement ». On s’interroge : « Toujours ? ». Elle acquiesce : « Oui, c’est ce moment particulier qui permet de déclencher. En tremblant un peu. Comme par aveuglement, j’appuie d’un coup sec ». On s’étonne : « Par aveuglement ? Tu veux dire que le moment t’aveugle comme un halo de lumière ? ». Alors, on regarde à notre tour le mur devant nous, et on comprend pourquoi ces images retiennent notre attention : on croit les fixer, mais ce sont elles, à l’instar de phares dans la nuit noire, qui nous fixent définitivement.

Texte © Sylvia Fast – Photographie © Isabelle Rozenbaum – Illustrations © DR
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