Licorice Pizza (2021), qui à de nombreux égards a tout, n’a pourtant rien. C’est-à-dire que, comme toujours chez Paul Thomas Anderson, on est là face à du cinéma, du vrai cinéma, qui ne cherche en permanence qu’à créer des dispositifs cinématographiques ; ainsi, on a indubitablement de très belles séquences, comme cette scène de trajet en camion, sans essence, qui descend les collines à rebours, ou l’introduction, plus généralement, de l’héroïne, avec cette façon dont le film naît de par le besoin de la happer et de la garder dans le cadre.
De plus, Anderson prend un sacré pari en faisant de ces deux acteurs principaux, deux débutants – et pourtant, ils sont l’un comme l’autre excellents. Autant le fils de Philip Seymour Hoffman – dont la simple présence est émouvante, fantôme d’un père qu’il n’a probablement jamais connu, revenant à la vie dans la caméra de son meilleur ami – que la jeune héroïne, au physique particulier, parfois même franchement disgracieux, qui néanmoins devient tout à fait magnétique (notamment de par ce mélange rare entre ces épais vases de larmes, creux de lourdeur et de fatigue sous les yeux, et de manière contraire ces pommettes saillantes). Pourtant, le film ne fonctionne pas. Et ce n’est pas même parce qu’il est foutraque, parce qu’il semble être un réceptacle sans structure pour tous les souvenirs d’enfance de Paul Thomas Anderson.
Ce serait mal comprendre le film que de penser cela : Licorice Pizza est à l’inverse parfaitement cohérent dans son approche assumée d’une structure sans intrigue définie. Puisque ce que Paul Thomas Anderson met en scène, c’est ce simple principe : tout passe, sauf elle. Ou : rien n’a de sens, sauf elle. Ou encore : ce qui à travers le narratif, illusoire donc entropique, demeure en tant qu’axe cinématographique, c’est elle. Elle tient le film, le rend cinématographique, et rend le narratif, par contraste, dérisoire. Être un enfant-star ? Ça passe. Vendre des matelas à eau ? Ça passe. Gérer un magasin de jeux ? Ça passe. Et c’est précisément parce que toute l’intrigue est réduite à une succession d’absurdités (avec Jon Peters, producteur qui nous avait toujours fasciné, pour la première fois porté à l’écran par un excellent Bradley Cooper), que l’intrigue elle-même devient l’idée de l’autre comme unique axe possible à une vie. Ainsi, même s’il est légitime d’y voir là le Once Upon a Time in Hollywood de Paul Thomas Anderson, il est faux de le considérer comme une œuvre nostalgique. Au contraire, contrairement à Tarantino, Licorice Pizza est un film anostalgique, qui ne peut regretter le temps passé, puisque le temps a été passé avec elle (et donc n’est pas passé).
Bref, tout cela est beau. Tout cela, en plus de la vista habituelle de Anderson et le charme des acteurs, fait qu’il est difficile de ne pas aimer Licorice Pizza. Mais il est difficile, aussi, de l’aimer. On peut tourner dans tous les sens : le film ne marche pas. Car il n’apparaît pas être le bon. L’autre n’est jamais essentiel. Et c’est sans doute le constat le plus cruel que l’on peut faire à propos d’un film d’amour. Il n’arrive pas, malgré tous ses efforts, malgré sa cohérence narrative, malgré sa beauté esthétique, malgré sa façon de tourner élégamment autour du cœur, à faire naître l’amour. Pas d’étincelle. L’alchimie entre les deux acteurs est faible ; la tension sexuelle, totalement absente (l’idée, pourtant, de commencer une histoire d’amour dans un état d’impossibilité créant la rétention, de par l’écart d’âge – 28 ans pour elle, 15 ans pour lui – était géniale, là encore extrêmement fertile cinématographiquement). Et c’est à la fin, réellement, que la mort dans l’âme, l’on est obligé d’admettre que Licorice Pizza échoue à être le film sublime qu’il aurait pu être.
Car quand les deux personnages courent l’un vers l’autre, alors que Anderson convoque des flashbacks de leur relation, eh bien l’on s’en fout. Cette hésitation constante, d’ailleurs, entre la réussite et l’échec, nous aura rappelé ce qu’on avait ressenti, dix ans en arrière, devant The Master. Mais à la fin, l’on avait su que le film tombait du bon côté. Et que tout soudain devenait génial, comme si les moments précédents de vacillements se retrouvaient validés par le seau du génie. Ici, c’est exactement l’inverse qui se produit. Il n’empêche, quoi qu’il en soit : c’est du cinéma.
Note : 2,25/5.
Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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