Face au Spectacle : Mourir peut attendre

Mourir peut attendre (2021) qui démarre excellemment, entre ce flashback du personnage enfant de Léa Seydoux voyant sa mère se faire tuer par un assassin masqué, au bord d’un lac gelé, et cette course-poursuite en Italie. On sera captivé par ce moment où James Bond, dans une voiture aux vitres bulletproof, refuse de démarrer, préférant regarder à ses côtés Seydoux, terrifiée par l’impact des balles menaçant de briser la vitre (ce qui rappelle, justement, les brisures du flashback, sur le lac de glace). On est alors entraînés : le film paraît intense, adulte, profond. La rupture entre Bond et Seydoux est belle ; le générique, tardif et mélancolique, sur le passage du temps, convainc aussi.

Mais après, peu importe les clins d’œil sur la nouvelle génération woke (voir notamment, la nouvelle agent 007, femme noire), peu importe, que le film n’y cède pas et s’en moque : cela ne lui permet pas d’être original, et pire même, ces références à l’époque révèle qu’il le fait par défaut, par dépit d’avoir vraiment un sujet (le passage du temps devenant plutôt une excuse). Rapidement, passé l’excellente première demi-heure, on se retrouve face à un James Bond classique, et un James Bond classique, c’est un film qu’on a vu cent fois, et que, à notre âge, on ne peut tout simplement plus supporter. D’autant que Mourir peut attendre, malheureusement, prend le temps

Plus les minutes avancent, et plus la première demi-heure finit par paraître dérisoire en comparaison de ce monumental pensum qui n’en finit jamais. Il n’y a alors que deux femmes, pour sauver le tout du marasme : Léa Seydoux, pas spécialement bonne, mais dont le personnage est indubitablement le plus intéressant et rappelle le cœur du film, c’est-à-dire son début, trop rapidement oublié sous l’avalanche de scènes d’action. Et Ana de Armas, terriblement charmante, notamment dans sa façon de se battre, avec ce corps fin et léger, presque d’enfant. Daniel Craig, lui, ne nous a jamais autant paru aussi ennuyeux, l’air terriblement bête (au moins, dans À couteaux tirés, ses yeux bleus vides avaient le reflet vitreux de l’alcoolique).

Surtout, le méchant est d’une nullité abyssale : son ambition éculée de jouer à Dieu, depuis une île secrète, où il se prépare machiavéliquement à détruire le monde avec un virus, aurait dû moins être incarnée par un acteur puissant. Ici, on se retrouve avec Rami Malek, pas un mauvais acteur, mais beaucoup trop frêle, beaucoup trop caricatural pour le rôle. D’ailleurs, il était censé être un adulte quand il tue la mère de Seydoux, alors enfant. Et pourtant, il semble avoir le même âge que Seydoux. C’est absurde et une erreur total de casting : l’acteur aurait dû avoir vingt ans de plus. Cela aurait aidé à donner de la consistance à ce personnage déjà, sur le papier, ridicule.

Évidemment, certes, c’est un James Bond, et des méchants ratés, il y en a eu avant lui. Mais au vu de la fin du film, au vu de son dénouement tragique, au vu donc du fait que ce méchant est celui qui tue James Bond, il eût fallu qu’il ait quand même une autre gueule ! Erreur impardonnable du film, d’autant qu’il ne peut présenter l’excuse du manque de temps. Mourir peut attendre prend justement la peine de s’étirer en longueur, pour développer le personnage, pour amener la mort de Bond. On ne peut pas dire que le méchant ne soit pas pensé : il est juste médiocre. Au choix, on aurait encore préféré qu’il soit oubliable, que le film fasse une heure de moins, et qu’il se concentre simplement sur Seydoux. Après : le dernier quart d’heure évidemment saisit, parce que la mort de Bond constitue un événement significatif, et cela nous ramène à ce qu’on avait aimé dans la première demi-heure. Mais à ce stade-là, c’est presque immérité, Mourir peut attendre bénéficiant davantage de l’aura de James Bond en tant que tel, que du récit que, sur 2 heures 45, il a réellement élaboré. Bref : dans ce nouvel opus, seul un petit tiers mérite our time

Note : 1,5/5.

Texte © Léo Strintz – Illustrations © DR
Face au Spectacle un workshop d’analyse filmique et sérielle in progress de Léo Strintz.
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