La Caverne de Molussie

Série de 22+1 photographies issues de peintures à l’encre noire inspirées par la lecture de La Catacombe de Molussie de Günther Anders.

La performance Blind Time de Robert Morris, filmée par Teri Wehn-Damisch, m’a longtemps travaillée. À l’écran, l’artiste se bandait les yeux, enduisait ses mains de peinture noire ou de graphite, puis l’étalait sur une feuille blanche avant d’inscrire le temps écoulé. Ce geste m’a incité à reprendre son protocole pour un nouveau projet. Ce fut pour moi, une invitation à renverser l’autorité de la vision au bénéfice du toucher. Avec une différence essentielle : je n’avais aucune intention préalable. Sur des feuilles blanches, j’ai étalé à l’aveugle cette « matière noire », la « masse manquante » des astrophysiciens. Ce n’est qu’en différé que je découvrais ce que mes mains avaient déposé sur la blancheur du papier. Les formes révélaient une dimension mémorielle qui s’imposait d’elle-même : deux faces innommables de l’extermination : d’une part, la présence ineffaçable de tous ces corps violentés, exploités et transformés comme « matière première », et d’autre part, l’absence persistante de tous ces « êtres manquants » dont cette matière noire seule semblait garder la trace ineffable. Pour défier les ténèbres, j’ai retranscris sur les zones noires le fil des voix qui affluaient dans mes oreilles. Un mot revenait, tenace : zakhor, mot hébreu, c’est-à-dire « souviens-toi » (et tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte). Je l’ai tracé. Pour ne jamais oublier.

 

La série La Caverne de Molussie fait partie du projet Image manquante, une construction photographique composée de 23 séries, chacune constituée de 23 images. La 23e image de chaque série représente « l’image manquante », à l’instar de la « lettre manquante » de l’alphabet hébraïque. Cette 23e n’apparaîtra qu’à l’achèvement du projet ou lors des expositions.

Texte & Photographies © Isabelle Rozenbaum /ADAGP
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