Sollers Vivant !

469. à Ré / juste avant de quitter la route principale pour aller vers Loix / à un endroit qui s’appelle La Passe / il y a le panneau indicateur suivant : Ars ⟲ ⟳ Loix — c’est l’échangeur secret / le lieu de passe entre la maison de Sollers (Sollus + ars / comme il le dit lui-même) & la mienne — les Lois de la Littérature sont impénétrables
(L’Histoire splendide).

Même si je mets ici une photographie de la tombe de Philippe Joyaux, dit Sollers, au cimetière d’Ars-en-Ré, non loin du carré des aviateurs anglais tombés durant la Seconde Guerre mondiale, cela ne veut pas dire pour autant que le grantécrivain est mort, mais juste qu’il est absent ; et que cette rose qu’il a voulue gravée sur icelle, messagère d’une formule du grand Hegel (« La Rose de la Raison dans la Croix du présent »), indique bien une simple absence : Sollers sera vivant tant que des jeunes gens continueront de le lire !

Convoquons ici Italo Calvino à la barre :

Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire. […] Un classique est une œuvre qui provoque sans cesse un nuage de discours critiques, dont elle se débarrasse continuellement. (Pourquoi lire les classiques ?)

L’assistance est contente ; elle applaudit. Le rideau de scène tombe. Nouveau tableau : un critique officiant dans une revue d’art influente, que je ne nommerai pas pour n’être pas dénonciateur, a écrit après la mort du Maître que la lecture de celui-ci lui avait fait perdre beaucoup de temps (sic), et alors même que ce commentateur-eunuque n’a aucune œuvre derrière lui… Je lui répondrai en disant ceci : non seulement l’œuvre de Sollers-écrivain m’a fait gagner au moins vingt ans dans mon travail d’écriture ; mais, sans elle, il est probable que je n’aurais jamais écrit…

Collage, montage, compression, prélèvement… , ça ne convient pas. Précipité peut-être, comme en chimie ?… Le mot est beau. Tout ça est très technique, ça suppose un travail fou qu’il ne faut pas montrer. On est dans un roman, il faut que ça s’enchaîne très vite. […] On a alors tous les Cantos de Pound en quelques pages, en transversale, tous les poèmes de Hölderlin, sans vous embarrasser des poèmes… (« L’Amour du Royaume » in Discours parfait).

À peine avais-je jeté un coup d’œil sur elle qu’une cuisse ou une aile m’ont poussé. Je précise ma pensée : si je n’avais eu connaissance que d’œuvres romanesques comme disons celles de Tolstoï, Dostoïevski ou Proust, je pense que je me serais tu, par prudence et modestie… et tout comme je n’aurais jamais osé filmer, en 16mm, si je n’avais jamais vu les films de Jonas Mekas [1]… mais seulement ceux de Griffith ou Cecil B. DeMille. Ces deux œuvres limites de la modernité furent, indéniablement, des ouvertures de possible… des ouvroirs de littérature/cinéma potentiel(le) : leur avenir/à-venir ne fait que commencer !

Texte © Guillaume Basquin – Illustrations © DR
Cet article est l’édito de la revue Les Cahiers de Tinbad, n° 16 (Printemps 2024).
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[1] Je reprends ici à mon propre compte cette déclaration « célèbre » de Godard comme quoi le film Voyage en Italie de Roberto Rossellini lui avait donné ce sentiment de « sécurité » : si un jour il venait à être à court d’idées pour faire un nouveau film (quoi et comment filmer ?), il pourrait toujours filmer une « simple » scène de ménage dans une voiture. Les œuvres respectives de Sollers et Mekas m’ont apporté un tel sentiment de « sécurité » ; il n’était donc pas nécessaire de refaire (en mieux) les scènes de batailles de Guerre et Paix ou d’Intolérance