Rumeur & Roman 1 : De Zimmer à Zemmour

Il y a treize ans, mon premier roman était publié : Zimmer (Allia, 2010). Un certain nombre des thématiques de ce texte trouvent un prolongement dans mon dernier livre, Une Bête se nourrissant d’elle-même (Exils, 2023), que je présente ici. Les deux livres font une part importante au conflit Israélo-palestinien et à ses implications en France depuis l’élection de François Mitterrand jusqu’aux années 2020. Plus largement, plus fondamentalement, c’est une acception singulière du mot « juif » que ces deux livres mettent à jour : interrogations autour de la langue, autour de la notion de temporalité, et autour des sources.

Zimmer mettait en scène un rescapé d’Auschwitz, octogénaire juif né en France, assassinant des arabes et des journalistes islamo-gauchisants dans le Paris de 2004. Une époque où les banlieues prenaient feu, et où des Morts aux juifs se faisaient entendre Place de la République, pour la première fois depuis plusieurs décennies, dans le cadre de manifestations hostiles à la seconde guerre en Irak.

Le roman, écrit en 2005 – refusé pendant quatre ans par l’ensemble des maisons d’édition – avait suscité une certaine curiosité lors de sa parution. Certains y virent une provocation. D’autres soulignèrent la tristesse profonde du texte, son ancrage dans les non-dits de la France contemporaine :

Pour la première fois, j’ai ôté la vie d’un Français. Un Français de faciès. Un Blanc. Lambert ou Potier. Enfin non. Pas réellement blanc, pas encore. Père juif. Pour la première fois, je connaissais l’identité du type. Ça faisait plusieurs années qu’il rédigeait des papiers dans un mensuel militant. Un opposant résolu au colonialisme sioniste. Un porte-voix des réseaux prônant un Islam strict mais réformiste, un Islam intransigeant sur le fond mais respectueux des principes de la République. Je le lisais régulièrement. Il arrivait que je tombe sur lui à la Radio. Je ne me souviens plus avec précision du jour où j’ai eu envie de le tuer. Quelque chose s’est produit, mais je n’avais pas prise. Dans le fond, je crois qu’il n’y a rien eu d’autre que de la peur. J’ai eu peur pour moi, pour les miens, pour ce pays qui m’a tant donné. Dans un premier temps, j’ai pensé que ça n’était pas à un vieux Juif de faire le travail. Je me disais que la peur ne pouvait pas n’avoir saisi que moi, Bernard Zimmer ; que d’autres, aux racines plus légitimes, devaient y avoir succombé. Je me rassurais à la pensée qu’un Lambert ou un Potier se chargerait de la besogne. Mais rien ne venait. (p. 78 )

Il aura suffi d’attendre. Une décennie. Bien avant l’automne 2023 et les retombées du conflit au Proche-Orient. Éric Zemmour, juif aux racines algériennes et au faciès de Süss, le juif alpha des caricatures nationales-socialistes – malingre, regard perçant, sourire sardonique – présente le même défaut de stricte blanchitude que l’assassin juif ashkénaze Bernard Zimmer. Assis comme lui entre deux chaises identitaires branlantes, il ne fait que reproduire l’interrogation qui hantait l’octogénaire dans le livre écrit il y a vingt ans : Comment expliquer qu’il incombe à un juif de déciller les yeux des Français – des Blancs – quant à l’état de ce pays ? Pas une question inintéressante, au demeurant.

L’incrédulité du survivant-meurtrier Zimmer a finalement trouvé un écho chez un certain nombre de concitoyens, en la personne de l’éditorialiste-tribun Zemmour. Ce dernier, en en modifiant les termes, pervertit néanmoins le questionnement bien plus qu’il ne l’incarne. Peut-être, dès lors, convient-il de poser les choses en d’autres termes :

    • Un judéo-basané aux traits de réceptacle à zyklon…
    • reprenant le discours de nationalistes antisémites français du premier 20e siècle…
    • afin de revaloriser, en 2023, une idée de la France dans laquelle un Maréchal respecté avait dû se donner le mal de collaborer avec l’envahisseur pour préserver des juifs sans que la postérité ne lui en sache gré…
    • estime, au regard de cette aspiration, devoir recadrer les musulmans…
    • musulmans, dont un certain nombre rendent, par ailleurs, assez légitime l’idée d’un recadrage : décapitation d’enseignant, assassinat d’enfants à la sortie des écoles, pratique du tir au pigeon durant les concerts de musique populaire…
    • recadrage dont le juif basané se fait le garant, oublieux de ce qu’il redeviendra pour beaucoup de ses soutiens, à la première incartade, un juif bougnouleux…
    • voire même un sioniste…
    • mais, peut-être, cet homme n’est-il qu’apparemment oublieux...
    • et peut-être mesure-t-il que, en réalité, une France dans laquelle un autre juif basané arbitre désormais les élections en prime time – braillard, inculte, prêt à vomir sur la dignité de n’importe quel être humain soumis, entouré chaque soir de créatures interchangeables représentatives de toutes les sous-couches de la République, et financé par un richissime entrepreneur catholique – peut-être éprouve-t-il qu’un tel pays est un pays trumpé : une idiocracie
    • et qu’une idiocracie étant par nature un cirque peuplé de créatures imprévisibles – en partie domptées, certes, mais imprévisibles, et en premier lieu pour les juifs – il demeure souhaitable d’en conserver les clés aussi longtemps que possible. Quitte à y laisser son âme dont il ne reste, peut-être déjà, que des lambeaux.

On ne vous a pas assez parlé des voix… En chaque Juif, il y a un goy à résidence qui change sans cesse de visage et donne son avis sur tout. Cet hôte relève du miroir déformant, du composant organique, du manque de chance ; il oblige et structure. Entretenir de bons rapports avec son goy n’est pas une chose évidente. C’est comme un enfant qui ne dort jamais.Vous pouvez faire quoi si un enfant ne dort pas ? Vous lui racontez des histoires ? Vous le prenez dans vos bras ? Et s’il ne dort jamais ? Si un enfant ne dort jamais ? Vous le jetez par la fenêtre ? Toutes ces voix, ça peut vous faire perdre la raison. (p. 23)

Le·a prochain·e Zemmour ? Iel-Yel sera :
noire·musulman·ne·LGBTKOPZ#Bienveillance&empathie#SeeUdans20ans#FromtheRivertotheSea#❤️✊

Texte © Olivier Benyahya – Illustrations © DR
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